10/09/2024 - VENISE 2024 : Murat Fıratoğlu met en scène avec élégance et poésie le quotidien d’un personnage qui, malgré les abus de pouvoir, n’a pas l’intention de céder à l’injuste loi du plus fort

Le premier long-métrage de l'avocat turc Murat Fıratoğlu, One of Those Days When Hemme Dies, composé de plans-séquences longs et méditatifs, sélectionné dans la section Orizzonti de la Mostra de Venise,  nous transporte dans l’intimité d’un personnage aux prises avec les injustices d’un monde qui ne s'intéresse qu'à l'argent qu’on gagne. Le film, en apparence désarmant de simplicité, force le spectateur à prendre un temps d'arrêt et à observer les gestes discrets du quotidien, les actes de rébellion petits mais significatifs de celles et ceux qui n’ont pas l'intention de déposer les armes.

Eyüp, le héros du film, interprété par Fıratoğlu lui-même, travaille sans répit sous le soleil de plomb du sud-est de la Turquie à ramasser des tomates. Son motif pour se soumettre à ce régime inhumain est l’urgence de s'acquitter d'une dette qui pourrait autrement le conduire tout droit en prison. Après un désaccord avec son supérieur, Eyüp erre dans la ville, à essayer d’imaginer un plan radical qui puisse ramener un peu de stabilité et de dignité dans sa vie.

One of Those Days When Hemme Dies ne s'intéresse pas à la vie urbaine ou la société moderne. Ce qu'évoque le réalisateur, ce sont les problèmes humains, existentiels, qui tourmentent ses personnages. Le film, composé de plans-séquences poétiques et introspectifs pouvant durer jusqu’à huit minutes, invite le public à vivre au rythme d’Eyüp en partageant non seulement ses pauses et ses moments d'introspection, mais aussi ses angoisses et ses doutes existentiels. Pendant lesdites pauses, le spectateur peut réfléchir à sa vie, et aux petites vicissitudes, apparemment insignifiantes, du quotidien. Dans ce sens, Eyüp nous guide vers un monde où prendre un temps d'arrêt devient fondamental, un monde plus lent qui nous permet de ralentir et d’observer la beauté de ce qui nous entoure. Cet état d'apathie poétique est alimenté par les silences – ce sont eux, les vrais héros de ce film qui parle avec les images plus qu’avec les mots. Ce que le réalisateur cherche à rendre, c'est le rythme de la vie même, les inévitables moments de stasis pendant lesquels rien ne se passe, quand le corps semble immobile, mais que l’esprit s'agite furieusement.

À l'égal des silences, les paysages, lieux dans lesquels l’être humain ose à peine s’aventurer, deviennent des personnages à part entière. À cet égard, on est bouche bée devant les images des champs couverts de bâches d'un blanc aveuglant, remplies de tomates rouges, le tout entouré de montagnes jaunes, superbement arides, sous un ciel bleu qui semble irréel. Cet endroit semblable à l'Eden se transforme toutefois, dès que les travailleurs arrivent, en une terre hostile où les abus de pouvoir sont monnaie courante. Les conditions de travail sont affreuses et il n’existe aucune sécurité sociale. Tout se passe comme si du paradis, on était soudain catapulté en enfer. Même si One of Those Days When Hemme Dies se concentre sur les luttes des travailleurs agraires et leurs droits (celui de voir leurs besoins élémentaires respectés, le droit à avoir un emploi digne), le réalisateur aborde aussi courageusement le thème de la masculinité toxique, de la violence et de l’orgueil. Son film est en effet dominé par les hommes, par des personnages qui tentent, de manière grotesque même, parfois, d’imposer et préserver leur domination. Eyüp semble vouloir échapper à ce cercle vicieux. Ce qu'il cherche, c'est un équilibre et un "respect" qui ne sont pas basés sur la loi du plus fort, mais sur la tolérance et la solidarité. One of Those Days When Hemme Dies est un premier film esthétiquement très fort qui transforme la simplicité en un terrain de bataille.

One of Those Days When Hemme Dies a été produit par Murat Fıratoğlu. Les ventes internationales du film sont assurées par Luxbox.

(Traduit de l'italien)