Critique : Tata
par Vladan Petkovic
- Le documentaire de Lina Vdovîi et Radu Ciorniciuc brosse un tableau sans fard, extrêmement dense et stratifié, d'abus et traumatismes transmis de génération en génération

La journaliste et réalisatrice moldave-roumaine Lina Vdovîi, qui travaille avec son partenaire et Radu Ciorniciuc (également auteur d'Acasa - My Home [+lire aussi :
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fiche film], dont Vdovîi a écrit le scénario), livre un tableau personnel extrêmement dense, et à plusieurs strates, d'un traumatisme transmis de génération en génération, causé par le patriarcat traditionnel, dans le documentaire Tata [+lire aussi :
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fiche film], qui a fait sa première à Toronto. "Nous n'avons jamais remis en cause nos parents : nous savions que la vie était ainsi, et on a juste continué de la même manière", dit son père, Pavel, qui est aussi la raison qui a amené la réalisatrice à quitter le foyer familial à l’âge de 18 ans. Depuis, en 25 ans, elle n'a pas eu de contact avec lui, mais quand il a fait appel à elle pour demander son aide, peut-être parce que son instinct de journaliste lui a rappelé la nécessité de défaire les nœuds douloureux du passé, elle a dit oui.
Pavel travaille en Italie depuis 12 ans. Il assure la maintenance d'un vaste domaine, s'occupe des plantes, cueille le raisin et met le vin en bouteille. Au fil des ans, son employeur lui a fait subir des abus psychologiques et physiques, comme on le voit dans une vidéo qu'il envoie à Lina, où il apparaît avec des bleus partout sur les mains et le cou. Cependant, avant qu’elle et Radu ne se mettent en route pour l'Italie, on en apprend davantage sur la violence que Pavel lui-même infligeait à sa femme et ses trois filles à travers un récit en voix off par Lina et des vidéos familiales. Dans ces vieux films, la violence physique n'est pas visible, mais on voit aussi des messages vidéo que ses enfants lui ont envoyés au fil du temps. Le spectateur, conscient de la direction que va prendre l’histoire, peut le remarquer ou pas, mais ces vidéos semblent cacher de l'appréhension, voire de la peur, derrière les les chansons heureuses et les bulletins scolaires fièrement annoncés. Après tout, Lina nous le dit : la peur d’être battue pour la moindre raison est le souvenir le plus vif qu'elle a de son enfance.
Une fois en Italie, Lina et Radu équipent Pavel d'une caméra cachée, ce qui donne lieu à plusieurs segments flous et viscéraux de pure violence, de colère et de désespoir. Ils embauchent aussi un avocat dont les espoirs reposent sur ces images et les documents incriminants que Pavel a réussi à mettre de côté.
En parallèle, l'histoire du traumatisme familial se déploie, ainsi que plusieurs échanges bruts entre le père et sa fille. Il présente ses excuses et demande son pardon, mais cherche aussi à justifier son comportement comme père par celui de son père à lui. Pendant ce temps, Lina parle à sa mère, qui a survécu à un cancer, ce qui lui a donné le sentiment de davantage contrôler sa vie, mais ne l'empêche pas d'avoir peur que Pavel revienne. Il y a aussi la mère de Maman, une vieille dame sage et éveillée qui a survécu à trois mariages sans jamais se faire frapper. Diplômée en psychologie, elle sait comment gérer ses hommes. Et par-dessus le marché, Lina est à présent enceinte.
Avec tous ces éléments, soigneusement ordonnancés en strates, qui alternent à travers un montage net et précisément dosé, point n'est besoin d'en dire beaucoup plus. Cette histoire complexe et douloureuse peut en outre être transposée dans un contexte social plus vaste, où l'abuseur placé dans une situation différente devient l'abusé, mais il est très clair ici que tout vient de la même source : le père, le patron... N'est-ce pas le même archétype ?
Des petits détails, comme le langage corporel de Lina quand Pavel la prend dans ses bras, le ton de leurs conversations ou les moments où elle se souvient d'un mariage qui a très peu duré, ajoutent des strates psychologiques supplémentaires. Et si, souvent, les documentaires sur des sujets difficiles essaient de conclure sur une note positive, dès que Pavel rentre chez lui, il reprend les violences verbales à l'encontre de sa femme. Le nouveau-né de Lina est la seule lueur d’espoir, mais elle est assez significative dans le contexte de cette manière totalement brute et sans fioritures de raconter l'histoire.
Tata a été coproduit par Manifest Film (Roumanie), Corso Film (Allemagne) et HBO Max. Les ventes internationales du film sont assurées par Autlook Filmsales.
(Traduit de l'anglais)
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