Critique : Les Courageux
- Dans ce premier long-métrage, bien maîtrisé, par Jasmin Gordon, une mère célibataire en difficulté essaie de maintenir sa famille à flot

"La chance sourit aux audacieux", comme dit le vieux dicton. Sauf que dans le contexte de la vie moderne, il faut beaucoup plus que simplement du courage pour s'assurer une existence confortable et heureuse, et c'est encore plus compliqué si plusieurs personnes sont concernées. Dans le cadre de la cellule familiale, tout le courage, l’amour et l’attention du monde ne suffisent hélas pas : il faut aussi de l’habileté pour naviguer dans l'environnement social. Il n’y a pas de solution simple, ni de chemin direct. C'est ce qu'on apprend dans le premier long-métrage de Jasmin Gordon, Les Courageux [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], qui vient de faire sa première mondiale dans la section Discovery de Toronto.
Jule (Ophelia Kolb, principalement active à la télévision) est mère célibataire. Elle élève trois enfants : Claire, Loïc et Sami (joués par Jasmine Kalisz Saurer, Paul Besnier et Arthur Devaux, qu'on voit tous les trois pour la première fois à l’écran). À peine les a-t-on tous rencontrés qu'elle laisse sa progéniture dans un café, à côté d’un centre commercial, avec une limonade pour trois à partager, usant du prétexte classique "je n’en ai que pour cinq minutes". Il est évident qu’elle a déjà fait ça avant, et très probable qu’elle n’ait pas d’autre option. Les petits, pressentant une intervention des autorités, finissent par s’enfuir du café et retourner chez eux à pied – un parcours assez risqué. Quand Jule revient, elle les retrouve sagement endormis.
On peut supposer sans risque de se tromper que Jule peine à subvenir aux besoins de sa famille, mais il est plus difficile de déterminer si c'est une mauvaise mère ou pas. La réponse simple à cette question, c'est qu'elle ne l'est pas : à l'évidence, elle aime ses enfants et elle est assez attentionnée envers eux pour leur sourire tout de même et s'inventer une excuse convaincante pour les avoir laissés seuls. Eux aussi l'aiment, et ils sont plus que prêts à corroborer ses dires devant l'administration scolaire et les autorités. Le problème, c’est qu’ils sont pauvres dans le riche canton suisse du Valais, et ça se voit. De plus, Jule a un passé criminel derrière elle, de sorte que sa capacité à évoluer, à la fois littéralement et métaphoriquement (sur l'échelle sociale) est très limitée. Peut-être que s'installer quelque part pour de bon pourrait les sauver, mais quand la maison que Jule veut acheter est vendue à un autre client, elle doit improviser pour maintenir l’espoir, ce qui l'amène à tenter quelque chose d'imprudent qui aura des conséquences irréversibles…
Les Courageux est un film qui pose beaucoup de questions sans donner de réponse. Par exemple : où est le père des enfants (ou leurs pères, s'il y en a plus qu’un seul) ? Quel crime Jule a-t-elle commis exactement par le passé et quel est son emploi actuel ? Le spectateur n'a droit qu'à des indices : on sait que la petite famille a beaucoup déménagé et que Claire est au courant du fait que sa mère ne dit pas la vérité à ses frères et elle. Cela dit, ce climat de secret est justement le point fort du scénario de Julien Bouissoux, qui restreint notre angle de vue et nous force ainsi à nous concentrer sur la relation de Jule avec ses enfants, sur l'autosuffisance de ces derniers quand elle n'est pas là, et sur sa détermination à ce que sa famille reste ensemble et arrive à survivre par tous les moyens.
À cette discrétion répond une exécution artistique et technique irréprochable. Kolb est toujours très juste dans le rôle de la mère tourmentée et l’alchimie entre les enfants fonctionne. La photographie, assurée caméra à l’épaule par Andi Widmer, ainsi que le sound design de Pascal Schärli ajoutent à l'impression d'avoir presque affaire à un documentaire, ce que ne contredit que la musique abstraite et chargée de tension de Mirjam Skall. En somme, Les Courageux est un premier long-métrage très maîtrisé doublé d'un spécimen convaincant de film opérant sur le terrain du réalisme social.
Les Courageux a été produit par la société suisse Maximage en coproduction avec la Radio Télévision Suisse.
(Traduit de l'anglais)
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