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SAN SEBASTIAN 2024 Compétition

Critique : Tardes de soledad

par 

- Albert Serra présente un film véritablement extraordinaire et audacieux sur le monde de la tauromachie à travers le portrait d'un torero et sa quadrille

Critique : Tardes de soledad

La vie du torero Andrés Roca Rey (actuellement une des figures les plus importantes du monde de la corrida plus connus en ce moment – il a gagné le Prix Torero Révélation 2016 –, une sorte de star du rock du métier, qui fait exploser les guichets des arènes) pendant un jour de corrida, du moment où il s’habille de lumière à celui où il se dévêt de sa tenue : voilà la matière du nouveau film du cinéaste catalan Albert Serra, Tardes de soledad [+lire aussi :
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, une espèce de documentaire (qui ne l'est pas du tout) sur la tauromachie à partir d'un portrait du célèbre torero et de sa quadrille, présenté en compétition au Festival de San Sebastian.

C'est que ce film, c'est : des images qui suggèrent des idées, des émotions, des sensations, des états d'âme, le combat entre homme et animal, l’instinct et la raison, la vie et la mort, l'essence de la tragédie, la violence, la souffrance, la douleur, la passion, l’ambition, la solitude, l'atavisme, le sublime, le beau, le sinistre. Les images des corridas qui parcourent le film de Serra, et tout ce qui s'y passe (le torero prêt à mourir et à tuer, ses moments de gloire et de faiblesse, sa relation avec sa quadrille, le taureau qui agonise, le taureau qui meurt, son sang qui coule), évoquent toutes ces idées dans le contexte concret qu'est le film. Serra entre au coeur de l'arène, il y installe sa caméra et laisse parler les images, presque sans s’adresser aux spectateur, et montre ainsi l’invisible, l'inédit, ce que dans ce décor réel, nous ne verrions et n'entendrions pas, ce que lui seul regarde et sait saisir avec son objectif, ou le micro. Les membres de la quadrille du torero deviennent involontairement nos narrateurs à travers leurs dialogues et commentaires, leur tempérament particulier, leur manière de parler et de communiquer entre eux, laconique et ancestrale.

Le résultat est une oeuvre cinématographique qui devient une sorte d’atmosphère, extemporaine, une immersion envoûtante (portée par un ton vaguement psychédélique et épique) qui passe par les sens pour nous enfouir dans le monde de la tauromachie qu'on voit là, dans la vérité et dans la solitude du torero. Le cinéaste rend cette solitude physique et métaphorique (par rapport au monde contemporain) et dépeint son personnage comme une espèce de héros classique qui souhaite perdurer pour l’éternité à travers ses prouesses dans la vie, qui se lance dans l'arène pour tuer et mourir avec le désir qu’on se souvienne de lui après sa mort. Ainsi, à partir de l’intime, le film arrive aussi à brosser un portrait collectif de l’univers taurin, un portrait qui va au-delà de ce qui est visible et audible, qui va au fond et parvient à rendre tout ce qu'il y a derrière lui : les pulsions par lesquelles il se meut, les croyances, les rituels, les désirs, les forces et les faiblesses dont il se compose. Reprenant un peu le style (ou du moins la manière particulière de comprendre le récit cinémagraphique) de Pacifiction [+lire aussi :
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, mais sans laisser d’être original, à travers ce travail avec les images et les possibilités qu'elles présentent, le cadre, la couleur, les textures, le rythme, le temps, le ton, la précision dans le détail, Serra parvient à livrer une approximation très singulière de la tauromachie, un documentaire unique en son genre (capable de transcender les genres et les codes habituels qui vont avec) porté par regard poétique, personnel et audacieux, détaché du politiquement correct et de toute complaisance, qui bien au-delà de tout moralisme et toute velléité de réflexion philosophique (ne cherchez aucun message ici : il n'y en a pas), recherche, et trouve, cet état d'hypnose latent.

Tardes de soledad est un film à contre-courant, un voyage et une expérience cinématographique qui permet d'aborder sensoriellement, à travers les après-midis de solitude du torero et sa quadrille, le combat entre homme et animal, et la ligne ténue qui sépare la vie et la mort. C'est probablement un des plus grands films de cette édition du Festival de San Sebastian, et de manière générale un film véritablement extraordinaire et fascinant.

Tardes de soledad a été coproduit par Andergraun Films (Espagne), LaCima Producciones (Espagne), Idéale Audience (France) et Rosa Filmes (Portugal). Les ventes internationales du film sont gérées par Films Boutique.

(Traduit de l'espagnol)


Galerie de photo 23/09/2024 : San Sebastian 2024 - Tardes de soledad

8 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.

Albert Serra, Montse Triola, Ricard Sales
© 2024 Dario Caruso for Cineuropa - @studio.photo.dar, Dario Caruso

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