SAN SEBASTIÁN 2024 Compétition
Critique : La Voie du serpent
par Roberto Oggiano
- Kiyoshi Kurosawa propose un remake de son thriller de 1998 Le Chemin du serpent, transposé à la France actuelle, pour enquêter de nouveau l'inutile surdité du mal

La Voie du serpent [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], présenté au 72e Festival de San Sebastián, est le troisième film que Kiyoshi Kurosawa nous offre cette année, après Chime, lancé exclusivement sur les plateformes, et Cloud, projeté hors compétition à la dernière Mostra de Venise. Comme dans son film de 1998, Le Chemin du serpent, le prolifique cinéaste japonais raconte ici l’histoire d’une vengeance (dont il ne nous est pas donné de savoir s'il est légitime ou pas) : celle Albert (Damien Bonnard) contre les assassins de sa fille (dont un personnage interprété par Mathieu Amalric, qui n’en est pas à sa première collaboration avec Kurosawa. Il va être aidé dans ce projet par la psychologue Sayoko (Ko Shibasaki).
Le changement de sexe et de profession de la personne qui assiste le personnage (dans Le Chemin du serpent, il s'agissait d'un professeur de mathématiques) est la seule grande différence entre les deux films au-delà du fait que l'action a été déplacée du Japon à la France. On retrouve en revanche intactes, même si les nuances sont différentes, les situations grotesques qui génèrent le malaise qui traverse tout le film. Cependant, si le long-métrage originel troublait fortement, du fait de la signature stylistique du réalisateur (certaines images étaient par exemple tournées avec une urgence presque documentaire) comme du mystérieux final, la nouvelle version donne une impression de rigidité mécanique, fruit d’une opération qui semble avoir été effectuée comme un pur exercice de style.
Pour Kurosawa, dans le présent, le mal est incarné par la froide technologie du Paris des années 2020, immobilisé entre le mythe de la tradition et la prétention d’être encore une ville à l’avant-garde, deux éléments qui illustrent la nostalgie d'un passé révolu (mais y a-t-il quelque chose de plus nostalgique qu'un remake ?).
La terreur, dans le film de Kurosawa, procéde de la conscience que l’enquête sur la nature du mal (situé entre les deux pôles que sont la vengeance et le sadisme) à laquelle on assiste ici ne pourra donner lieu à aucune réponse convaincante. Pour le cinéaste, le mal n’a pas de raison, il est dépourvu de sens, ce qui se reflète dans la stupidité mesquine d’Albert, qui nous offre de fait les moments les plus comiques du film, et dans la froideur du personnage de Sayoko (moins fascinante toutefois que Nijima, qui expliquait les maths dans le Japon de la fin du dernier millénaire).
Un autre sujet central de La Voie du serpent est celui du mensonge, et de la nature factice des images. Les personnages mentent continuellement, aux autres comme à eux-mêmes (ce n’est pas par hasard que Sayoko est psychologue, donc quelqu'un qui les soigne et les détruit en les libérant, justement, de leurs propres mensonges), et Kurosawa les expose à des images de différents types où ils sont tantôt victimes, tantôt bourreaux, tantôt les trompeurs, tantôt les trompés. C'est une torture visuelle qui remet en cause l'innocence présumée du spectateur et s'interroge sur la perversité voyeuriste et l'ubiquité toxique des écrans dans le monde contemporain, qui s'est développée de manière exponentielle depuis l'année du premier film, lointaine mais déjà corrompue. Les écrans font figure de miroirs déformants qui projettent une image terrifiante, et de plus en plus déformée, du monde et de nous-mêmes.
Malgré la profondeur psychologique à laquelle nous a habitués Kiyoshi Kurosawa, ou peut-être justement à cause d'elle, la sensation qu’on a en découvrant La Voie du serpent est que le film a les vices et l’ambition d’une grande œuvre ratée. S’il ne portait pas le poids d’un prédécesseur aussi illustre, l'impression serait probablement positive – du moins aurait-on pu être surpris par le film. Mais même si on ne peut pas demander à un réalisateur de créer les mêmes images que celles qu’il a faites il y a presque 30 ans, quiconque a vu l’original sera probablement déçu et continuera de se complaire dans la nostalgie d'un cinéma révolu.
La Voie du serpent a été produit par Cinéfrance Studios (France), Tarantula (Belgique et Luxembourg) et Kadokawa Corporations (Japon), qui s’occupe aussi des ventes internationales du film.
(Traduit de l'italien)
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