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ROSE D'OR 2024

Critique : Triumph

par 

- Le quatrième long-métrage de Kristina Grozeva et Petar Valchanov est une comédie absurde, riche en suspense, qui cartographie les vagues ambitions prophétiques d'un pays en transition perplexe

Critique : Triumph
Margita Gosheva (en haut) et Maria Bakalova dans Triumph

Imaginez un enfant assez grand pour survivre seul, mais encore dépendant, émotionnellement, de mentors et d'un guidage extérieur pour comprendre le sens de son existence. La Bulgarie était comme ça, pendant l’année turbulente que fut 1990, juste après la chute du régime communiste : c'était un pays paralysé par sa peur d’un futur inconnu qui a réélu le parti communiste lors de ses premières élections démocratiques, dans une atmosphère d'écroulement de ce parent jadis tout-puissant et despotique, mais néanmoins protecteur, qu'était l'URSS. Juste après ces événements historiques qui ont changé la donne, une période marquée par une affreuse incertitude, une opération militaire secrète financée par l’État s'est déployée à 30 km de Sofia dont l’objectif était de déterrer une capsule supposément placée là par une civilisation extraterrestre. Ces faits honteusement réels, tout aussi mystiques que comiques, forment la base du troisième chapitre de la trilogie de Kristina Grozeva et Petar Valchanov inspirée d'histoires sensationnelles publiées dans les journaux (après The Lesson [+lire aussi :
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et Glory [+lire aussi :
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). Après avoir fait sa première mondiale dans la section Platform du Festival de Toronto et avoir été sélectionné comme candidat bulgare dans la course aux nominations aux Oscars 2025, Triumph [+lire aussi :
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, qui est sans doute le film le plus radical du duo, par son esthétique et ses choix de narration, fait partie des titres phares de la compétition longs-métrages du 42e Festival Rose d'or du cinéma bulgare de Varna, aux côtés de quinze autres titres.

Comprendre l’intrigue de Triumph serait difficile sans lire d’abord le synopsis. Une femme aux cheveux bouclés erre dans un champ en proférant d'étranges incantations tandis qu’un groupe d'hommes en uniforme écoutent, obéissent, et exécutent les rituels bizarres qu’elle leur dicte en usant d'un vocabulaire cryptique agrémenté de termes singuliers comme "déactiminer" et "réflectorine énergétique". Peu à peu, les participants, habillés de manière monochrome, se mettent à révéler leurs visages et les principales figures de ce dispositif dramaturgique atypique. Celle qui jette les sorts est Nyagolova (Margita Gosheva), la médium attitrée du meneur de l’opération, le général Zlatev (Ivan Savov), qui tombe en transe à des moments clefs, prétendant être l'intermédiaire par lequel s'exprime l’Assemblée galactique. Quel message transmet-elle ? Que la Bulgarie est destinée à jouer un rôle capital dans le changement de l’ordre du monde et qu'elle va mener l’humanité au triomphe, sauf que la prophétie ne se réalisera que si on trouve la capsule. Cette proclamation grandiose plonge jusqu’au colonel Platnikov (Julian Vergov), pourtant sceptique, dans un état d'euphorie. Par ailleurs, Nyagolova dit de la fille de ce dernier, Slava (Maria Bakalova), mentalement fragile, qu'elle a des capacités surnaturelles, de sorte que le colonel finit par accepter son influence, spirituelle et érotique. Au-delà du récit paranormal, qui s'avère de plus en plus nettement n'être que du pur charlatanisme, la vie dans ce camp militaire est assez banale, avec très peu d’intrigues pour égayer les choses, ce qui va menacer l’autorité de Nyagolova et confirmer la force de l’énergie féminine de Slava.

Le contexte national qui fonde l’intrigue est vaste et complexe, mais il y a ici une vraie réflexion sur une pratique réelle, quoiqu'officieuse, de l’ancienne élite politique communiste bulgare : celle de consulter des médiums. Grozeva et Valchanov ont déjà exploré la fascination du peuple bulgare pour un ésotérisme douteux dans The Father [+lire aussi :
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, couronné par le Globe de cristal de Karlovy Vary, quoique c'était dans un contexte plus familial. Ivan Savov, toujours convaincant, sert de lien entre les deux films : dans The Father, il incarnait un homme endeuillé qui parlait de corps astraux accédant à l'au-delà tout en croyant que sa femme récemment décédée l'appelait depuis l’éternité alors que dans Triumph, son personnage est captivé par la promesse extraterrestre d’une découverte monumentale. Les deux films sont portés par une psychologie folklorique subtile, mais dans Triumph, l’excentricité locale est explorée au niveau macro, ce qui donne lieu à de vastes généralisations. Avec sa narration souvent difficile à déchiffrer et son ancrage plus ferme dans une unité de temps et de lieu, ce film majoritairement monochrome risque d’être mésinterprété. Ceci étant dit, l’approche dramaturgique qui consiste à dévoiler progressivement l’intrigue tout en laissant des blancs dans le puzzle d'ensemble déclenche une curiosité qui invite le spectateur à compléter lui-même le final, comme s'il s'agissait d'un jeu interactif.

Triumph a été produit par la société bulgare Abraxas Film en coproduction avec l'enseigne grecque Graal Film.

(Traduit de l'anglais)

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