Critique : Daniela Forever
par Olivia Popp
- Nacho Vigalondo surprend avec un récit fantastique halluciné où un DJ madrilène teste une drogue expérimentale qui va permettre de ramener feu sa petite amie à la vie à travers les rêves lucides
Bien des gens, s'ils pouvaient être réunis avec un être aimé décédé, en profiteraient certainement pour retrouver des plaisirs physiques, sensuels et émotionnels familiers, mais dans le nouveau film de Nacho Vigalondo, Daniela Forever [+lire aussi :
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fiche film], le héros, Nick, préfère largement obtenir un assentiment total à tous ses élans quand il emmène sa petite amie avec lui dans ses explorations quotidiennes. Le scénariste et réalisateur de Timecrimes [+lire aussi :
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fiche film] (2016) revient avec une œuvre visuellement très inventive, beaucoup plus contemplative que sa campagne marketing ne le laisse entendre. Daniela Forever vient de faire sa première européenne dans le cadre de la compétition officielle Fantastic de Sitges, après sa première mondiale le mois dernier dans la section Platform du Festival international de Toronto.
Vigalondo part d'une prémisse résolument inédite : après la mort de sa petite amie Daniela (Beatrice Grannò), le DJ madrilène Nick se met à recourir, sur le conseil de son amie Victoria (Nathalie Poza), à une pilule expérimentale qui lui permet d’avoir des rêves lucides. Nick ignore les intentions thérapeutiques du test pharmaceutique et décide de profiter pleinement de sa propre vie rêvée avec Daniela, qui va l'emmener dans des endroits inattendus. Si le scénario et le style visuel de Daniela Forever appellent des comparaisons faciles avec Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Inception, il se distingue par son ton très singulier, que Vigalondo utilise pour manipuler le film de manière créative et imprévisible. Et c’est beaucoup plus gratifiant (et, franchement, plus accessible) de lire ce film moins comme un mélange de science-fiction et d’histoire d’amour que comme un parcours d'existentialisme mâtiné de SF qui interroge la nature du désir, de l’attachement et de la solitude.
Dès le début, Vigalondo établit clairement le contraste, intense, entre le "monde réel" et le "monde rêvé", posant une dichotomie déconcertante. Le deuxième de ces univers, sur le grand écran, explose de lumière et d’une palette de couleurs très vives, sur des images en ultra grand angle filmées par Jon D. Domínguez qui semblent courber le paysage onirique, le tout accompagné par la pulsation d'une douce musique électronique composée par le groupe de pop catalan Hidrogenesse (constitué de Carlos Ballesteros et Genís Segarra). Le sentiment d'enfermement du monde réel, filmé principalement à travers des plans statiques réalisé avec des caméscopes Betacam, vous saute au visage, avec son format 4:3. L'impression est celle d'un environnement terne et aliénant dont l'atmosphère légèrement dystopique évoque Black Mirror. L’inventivité de metteur en scène de Vigalondo s'illustre dans cette géométrie distordue de rêve à la Kaufman, et l'utilisation qu'il fait de sons et d'effets visuels ambigus.
Golding livre une interprétation formidable dans le rôle de Nick le héros affligé, qui évolue entre des états infantiles, tantôt avides, tantôt joueurs, et un grand désarroi, tout en étant en mesure de contrôler tous les aspects du rêve. On note que la fadeur des raisons qui motivent le personnage de Nick peuvent être attribuées à un état de dépression aiguë qui apparaît nettement dans les scènes ancrées dans le monde réel – et dans le monde rêvé, le couple échange à peine un baiser. Nick se prend pour dieu et Daniela, qui n'est la plupart du temps qu'un robot, ou une coquille vide n'abritant plus la jeune femme effervescente qu’elle était, devient son jouet : il lui dit comment penser et qui elle peut voir ou pas. Il est plus soucieux de ses envies à lui et joue avec les limites du rêve rêvé tout en s'assurant un niveau d’attention "par défaut" de la part de Daniela.
Daniela Forever traîne un peu en longueur au milieu, et certaines interactions au sein du couple central font forcées (peut-être intentionnellement), mais le récit à combustion lente créé par Vigalondo force le spectateur à scruter soigneusement le plus petit changement troublant qui survient dans la dynamique entre Nick et Daniela. Le film n'est ni un thriller, ni un film avec un dénouement simple : l'histoire est compliquée par les rencontres de Nick avec l'ancienne petite amie de Daniela, Teresa (Aura Garrido), qui, étrangement, apparaît dans ses rêves lucides. Le réalisateur tord la limite entre les deux mondes à travers une conclusion surréaliste cryptique, laissant le spectateur spéculer à sa guise sur son sens profond, tout comme dans le cas d'un rêve.
Daniela Forever est une coproduction entre l’Espagne et la Belgique qui a réuni les efforts de Sayaka Producciones, Wrong Men, Señor y Señora et Mediacrest Entertainment. Les ventes internationales du film sont gérées par la société états-unienne XYZ Films.
(Traduit de l'anglais)
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