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VARSOVIE 2024

Critique : Waterdrop

par 

- Dans le troisième long de l'Albanais Robert Budina, dénonciation réaliste et cinglante de la complicité collective dans les systèmes patriarcaux violents, la goutte de trop suffit à casser le barrage

Critique : Waterdrop
Greta Pallaska et Arben Bajraktaraj dans Waterdrop

Oh, quelles choses terribles se produisent parfois dans des lieux magnifiques ! À Pogradec, en Albanie, ville située sur les rives du pittoresque lac Ohrid (inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO), une joggeuse, très concentrée, passe sans remarquer deux personnes qui font joyeusement du jet ski. L’une d'elles s'arrête un instant pour lancer un smartphone dans l'eau. L'appareil coule rapidement jusqu’au fond trouble du lac. La coureuse s'appelle Aida. Dans Waterdrop [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Robert Budina
fiche film
]
, le troisième long-métrage du réalisateur albanais Robert Budina, cette femme se voit confrontée au comportement abject de son fils chéri. Son incapacité à reconnaître un acte grave est symbolique des plaies affectant la sphère sociale que le travail de Budina dépeint, et c'est ce qu'il dénonce, car dans l'univers qu'on découvre ici, des agissements cruels et violents sont délibérément enterrés dans la boue. Waterdrop, scénarisé par Budina, Doruntina Basha et Ajola Daja, vient de faire sa première internationale dans le cadre de la compétition internationale du  Festival de Varsovie, et c’est aussi le candidat albanais pour les Oscars.

Aida (Gresa Pallaska), extrêmement compétente, travaille pour les autorités municipales avec son mari Ilir (Arben Bajraktaraj). Elle se débrouille très bien dans cet environnement hautement patriarcal, non sans tirer sa part financière de la corruption qui y règne. Quand son fils adolescent, Mark (Paolo Iancu), est accusé d’avoir agressé sexuellement sa camarade de classe Bora (Xhesika Bizjoni), Aida refuse avec véhémence de l'admettre. Cependant, tandis qu'elle se démène pour faire acquitter Mark, elle prend peu à peu conscience de sa propre complicité dans ce système toxique de misogynie violente et de rapports de pouvoir biaisés. Soudain, tout ce qui compte dans sa vie lui file entre les doigts (son emploi bien payé, son mari, sa réputation), dès l'instant où elle se met à refuser d'infliger davantage de souffrance à la jeune fille et sa famille.

Budina utilise l'histoire d’un monstre fictif présent dans le lac Ohrid, racontée tôt dans le film, pour illustrer l'idée que le mal rôde sous la surface. Dans une ville où tout le monde se connaît, les règles sont posées par les riches et puissants, qui incluent en partie Aida jusqu'à ce qu'elle se retrouve face à une force plus grande : la boucle de rétroaction d'un patriarcat fortement ancré dans la culture locale. Le personnage de Budina est, dès le départ, une antihéroïne (elle fait initialement tout ce qui est en son pouvoir pour défendre Mark malgré les preuves de sa culpabilité), mais le fait que le réalisateur ait choisi de raconter cette histoire à travers le regard d'une femme qui participe elle-même à la violence ambiante, par conditionnement social, avant de s'en rendre compte et d'essayer de s’extirper de ce système fait de son film un travail remarquablement réaliste.

L'arc scénaristique est convaincant bien que beaucoup de tournants dans le parcours d'Aida soient traités de manière hâtive, ce qui émousse en partie le potentiel de film-coup de poing de Waterdrop, mais n'empêche pas que son évolution d'ensemble soit bien relatée. Les moments dont ressort le plus la tragédie de l'histoire sont les conversations entre Aida et Ilir, que Budina filme de très près, laissant planer dans l'air la violence latente de ces échanges. Le chef opérateur Marius Panduru privilégie en extérieur les tons de bleu et de gris, plus menaçants, et crée un contraste avec la palette plus chaude de la vie domestique d'Aida, imitant à travers ce procédé ses moments de confrontation avec Ilir. Souvent, les décors et paysages qu'on voit à travers les fenêtres sont suréclairés et accentués, comme si le soleil avait du mal à pénétrer la noirceur sous-jacente de Pogradec tout en montrant la ville telle qu'elle est.

Aida est inteprétée avec passion par Pallaska, avec un regard d'acier très dur et une intensité frappante tandis que son personnage s'efforce de garder une forme de contrôle sur la situation. Son abject mari ne manque pas, bien sûr, de suggérer que le fait qu'Aida porte des talons hauts et des "chemises moulantes" est la raison pour laquelle elle est considérée compétente dans son travail. Nonchalant au début, il est de plus en plus condescendant et, de fait, dégradant, ce qui montre bien que la pomme est empoisonnée même dans ce qui est censé être le plus sûr des endroits. Mark, avec ses petits airs innocents, et son ami et complice Denis (Henri Topi), qui est le fils d'Elvis (Adem Karaga), le patron d’Aida et Ilir, ont à peine quelques traces de duvet sur le visage, mais cette pilosité faciale éparse trahit la manière dont la société les encourage à se comporter depuis très, très longtemps.

Waterdrop a été produit par Erafilm (Albanie), Redibis Film (Italie), Avanpost (Roumanie), Iliria Film (Kosovo) et Manufaktura Production (Macédoine du Nord).

(Traduit de l'anglais)

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