Critique : 2073
par Roberto Oggiano
- Le nouveau film d'Asif Kapadia est un documentaire aux teintes apocalyptiques qui mélange de manière confuse passé, présent et futur, ainsi que réalité et fiction

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fiche film] d'Asif Kapadia, projeté à la dernière édition du Festival BFI de Londres après avoir été dévoilé, hors compétition, à la Mostra de Venise, semble au début se poser en film dystopique situé pendant l’année 2073, dans un futur obscur où l’humanité est forcée de vivre dans un état d’urgence permanent. L’héroïne, interprétée par Samantha Morton, évolue dans un monde dominé par la technologie qui rend presque impossible la survie quotidienne.
À partir de cette prémisse, illustrée par Kapadia à travers un montage confus où alternent des images tournées pour le film et des images provenant de faits divers contemporains, le film se mue assez vite en un pamphlet contre l'ordre mondial actuel, en citant en vrac différentes catastrophes contemporaines liées entre elles par une sorte de grand projet diabolique qui voudrait voir les hommes réduits une bonne fois pour toutes à l'esclavage. Dans le futur, plusieurs flashbacks nous aident à comprendre comment on est arrivé à ce point de non retour, situé de manière arbitraire (optimiste ?) dans cinquante ans. Kapadia tente en effet d'analyser le présent d’un point de vue historique, appelant en exemple plusieurs journalistes défenseuses de la presse libérale comme Maria Ressa, arrêtée dans les Philippines de Rodrigo Duterte, la Britannique Carole Cadwalladr, qui a couvert le Brexit pour The Guardian, et l'Indienne Rana Ayyub, qui a couvert le scandale du dossier Gujarat et écrit pour le Washington Post de Jeff Bezos.
Le thèse du réalisateur est que ce dernier magnat, justement, avec Elon Musk et Mark Zuckerberg, fait partie des responsables du chaos dans lequel le monde est en train de s’enfoncer depuis trente ans et cette élite mondiale, épaulée par les dictateurs en place aux quatre coins du monde, serait en train de préparer un "événement" (une pandémie, une guerre nucléaire, une catastrophe climatique) qui servirait de catalyseur pour imposer un nouvel ordre mondial. La thèse ferait déjà sourire comme trame d’un film de science-fiction, alors a fortiori dans le cas d'une œuvre qui se pose en film-essai comme c'est le cas de 2073.
Ironie du sort : 2073 reprend tous les canons esthétiques et les tendances paranoïaques de n’importe quel documentaire produit par les idéologies complotistes de la même extrême droite qu'Asif Kapadia cherche à flétrir. L'évocation continuelle de catastrophes imminentes, la vision apocalyptique de la technologie vue comme le corollaire de l'idée qu'en ont les rois de la tech Musk & Co., le monde comme un endroit où on ne peut faire confiance à personne : tous ces motifs sont communs dans les idéologies libertaires et populistes que critique tant Kapadia.
Dans les flashbacks qui, depuis l’année 2073, nous ramènent à notre époque, ce qui prévaut est le sensationnalisme, comme si les seules sources qui puissent rendre compte du monde actuel étaient CNN ou Fox News. Tout est mis dans le même panier : la Chine, Donald Trump, Narendra Modi et Poutine, l’avancée technologique et l’intelligence artificielle coupables de toutes les turpitudes autoritaires. On peut encore citer la répression des Ouïghours, les pogromes anti-musulmans de 2002 dans le Gujarat, le massacre lié à la guerre à la drogue aux Philippines. Le tout est envisagé sous un œil rigoureusement occidental et sans la moindre analyse historique, dans un collage anxiogène hâtif qui accuse le spectateur d'immobilisme et l’incite à l'action. Comment, alors ça, le film ne le dit pas.
2073 a été produit par Lafcadia Productions (Royaume-Uni). Les ventes internationales du film sont gérées par Neon Rated (États-Unis).
(Traduit de l'italien)
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