Critique : A Real Pain
par David Katz
- Jesse Eisenberg poursuit sa carrière derrière la caméra avec un film en forme de carnet de voyage, sur deux cousins qui retournent dans la maison de leur grand-mère en Pologne

Une des rares prérogatives qu'a un critique de cinéma est celle d'identifier et nommer les nouveaux mouvements dans le champ du septième art, alors allons-y : un "Nouveau Cinéma juif" a émergé ces dernières années, avec les frères Safdie, Nathan Fielder et Shiva Baby en tête de file, et ces jeunes générations, à plusieurs décennies de distance de la tragédie subie par leurs ancêtres, sont en train de réévaluer et parfois de réaffirmer leur identité juive. Comme ces films viennent pour la grande majorité des États-Unis, le scepticisme vis-à-vis du sionisme et son réexamen est aussi une facette clef de ce cinéma.
Jesse Eisenberg, connu à ses débuts pour sa présence fluette et névrosée à l'écran, est récemment passé derrière la caméra. Son premier film, When You Finish Saving the World, a été sélectionné à Cannes à la Semaine de la Critique. Avec A Real Pain, il confirme sans équivoque sa volonté de poursuivre dans cette direction, quoique de manière beaucoup moins abrasive et pugnace. A Real Pain, qui suit le parcours de deux cousins (joués respectivement par le réalisateur lui-même et Kieran Culkin, dans son premier rôle important depuis Succession) vers la terre de leurs ancêtres en mémoire de feu leur grand-mère, fait l'effet d'une étreinte chaleureuse (bien qu'un peu étouffante) qui adhère au scénario type avec catharsis et rédemption à la clef. Après une première bien accueillie à Sundance, le film (coproduit par la société polonaise Extreme Emotions d'Ewa Puszczyńska) poursuit sa tournée mondiale au Festival BFI de Londres.
David (Eisenberg) et Benji (Culkin) Kaplan sont deux New-Yorkais aimables, avec les pieds sur terre, qui ont grandi à Long Island et sont affectés par des problèmes émotionnels différents : le premier est un éternel anxieux et le second, dépressif, a même fait une tentative de suicide. En hommage à leur grand-mère, une survivante de l’holocauste décédée récemment, ils se lancent dans un voyage sous forme de package complet vers la ville d'origine de leur famille : Lublin. Après avoir visité les monuments locaux, accompagnés de leur sympathique guide britannique James (Will Sharpe), ils iront voir l'ancienne maison de leurs ancêtres. Naturellement, l'itinéraire comprend aussi des interludes où ils fument des joints dans le froid, sur des toits d'hôtel, et se lancent, défoncés, dans des conversations profondes.
Si le scénario et la mise en scène d'Eisenberg sont plutôt inoffensifs, on peut louer le fait qu'il offre avec son film une estrade où Culkin, débordant de charisme, excelle. Il joue un salaud attachant habillé comme le glandeur type qui vit dans le garage, avec l'indispensable pull à capuche noir arborant quelques taches – le genre de gars qui vous rappelle vos copains à l'époque des études et leur hilarant sens de la répartie, et avec qui bizarrement, il n'est toujours pas déprimant de traîner. D’autant qu’il y a un objectif compréhensible et presque thérapeutique en jeu : Benji était beaucoup plus proche de sa grand-mère que David, et il a clairement absorbé une part de sa douleur, celle de quelqu’un qui n'a jamais pu s'intégrer pleinement aux États-Unis. Même s’il serait bien incapable de l'exprimer dans ces termes, pour lui, aller à Lublin aura des effets curatifs ; David, un peu mieux inséré dans la société, avec son terne emploi dans la publicité en ligne, n'est en l'espèce qu'un spectateur.
Benji, porté aux éclats de colère accusateurs à l'encontre des autres membres du groupe (qui comprend un immigré rwandais converti au judaïsme, calmement incarné par Kurt Egyiawan), trouverait forcément à redire sur le film d'Eisenberg, finalement assez timide. Il houspillerait aussi James pour ne pas offrir assez d'opportunités au groupe d’être en contact avec la Pologne d'aujourd’hui, et ne couvrir que superficiellement l’héritage de l’Holocauste. La situation de David et Benji sera très reconnaissable pour les juifs de leur génération, mais comme une belle fleur dans un vase, A Real Pain ne rend pas avec assez de vigueur ce manque de confiance en soi existentiel. Il se sent trop à l'aise dans le style standard, celui qui plaît aux gens, de son distributeur à l'international Searchlight Pictures. La vision qu'il propose de notre époque, et de la mémoire historique européenne toujours changeante, est comme un miroir qui recouvrirait à l'aérographe ce qu'il cherche à refléter.
A Real Pain est une production entre les États-Unis et la Pologne qui a réuni les efforts de Fruit Tree, Topic Studios et Extreme Emotions. Les ventes internationales du film sont gérées par Searchlight Pictures.
(Traduit de l'anglais)
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