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IDFA 2024

Critique : A Fidai Film

par 

- Kamal Aljafari manipule et ré-assemble les images des archives du Palestine Research Center, confisquées par Israël en 1982, pour mettre en évidence l'usage propagandiste qu'en a fait l'État israélien

Critique : A Fidai Film

Il y a beaucoup de manières de faire des films sur la Palestine. Certaines sont très radicales. C’est le cas de A Fidai Film [+lire aussi :
interview : Kamal Aljafari
fiche film
]
de Kamal Aljafari, présenté dans la section Signed de l’IDFA après avoir gagné le prix du meilleur film dans la section Burning Lights de Visions du Réel. En effet, la méthode principale du film est le montage. Les images montées proviennent des archives du Centre de recherche palestinien, conservées à Beyrouth jusqu’en 1982, date à laquelle elles ont été  onfisquées par l’armée israélienne. Aljafari est parvenu, de manière aventureuse, à récupérer certains matériels issus de ces archives, à présent aux mains des Israéliens, et à les assembler dans le dessein de raconter une histoire de la Palestine qui appartienne au peuple palestinien, mettant en évidence le fait que l’État israélien a subverti ces images en les adaptant à des fins de propagande. Cette cage signifiante est démantelée par A Fidai Film, qui dès son titre se présente comme un film de résistance et de lutte (fidāʾī signifie "avec celui qui se sacrifie", en plus d'être le titre de l'hymne national palestinien).

Au-delà de l’utilisation conceptuelle qu'il fait du montage, Aljafari manipule les images et expérimente, usant par à-coups d'une teinte rouge dégoulinante qui en accentue la violence, effaçant les mots apposés par l'armée israélienne, chaque choix artistique cherchant avant tout à se faire acte de justice. La formule utilisée pour décrire cette opération est "la caméra des dépossédés". À travers elle, le réalisateur renvoie au droit du peuple palestinien d’avoir sa vision de l’histoire et à l’importance d'une version des faits qui ne soit pas réécrite par les autorités israéliennes et les médias occidentaux. Et parmi les images les plus incroyables qu'on peut voir dans le film d’Aljafari figurent justement celles des soldats israéliens en train de documenter la saisie des archives dans le Beyrouth occupé du début des années 1980. Les archives étant considérées comme un butin de guerre, l’opération que fait Kamal Aljafari consiste à restituer à la communauté palestinienne, d'une façon ou d'une autre, les images qui lui appartiennent.

Ainsi, on voit défiler à l’écran tantôt des images tournées par les autorités palestiniennes, comme celles qui dénoncent les conditions de vie des réfugiés dans les temps, tantôt des images tournées par les occupants, y compris l'armée britannique, pour documenter avec un regard colonial la nouvelle terre conquise. Ce regard était du reste déjà dénoncé par Edward Said dans son célèbre essai L'orientalisme, paru en 1978, où il analysait comment l'Europe montrait ce qu'on appelait alors l'Orient (mais aujourd’hui, on pourrait dire "le Moyen-Orient").

Aux manipulations du matériel d'archives, Aljafari superpose le paysage sonore conçu par Attila Faravelli et la musique composée par Simon-Fisher Turner, des éléments qui, ajoutés au montage, contribuent à modifier la signification des images, à les libérer. Dans ce sens, A Fidai Film est un témoignage important sur le contre-pouvoir des images (un sujet sur lequel Aljafari avait déjà médité dans Recollection, récrivant à sa façon l'histoire du cinéma israélien) et sur la manière dont on peut reconstruire la mémoire de tout un peuple, un peuple qui a le droit de choisir la représentation qu'il se donne, en somme d'exister.

A Fidai Film a été produit par Kamal Aljafari Production, qui s’occupe aussi de la distribution et des ventes internationales du film.

(Traduit de l'italien)

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