email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

IDFA 2024

Critique : Personale

par 

- Dans son premier long-métrage documentaire, Carmen Trocker déconstruit un hôtel italien de luxe où le personnel doit composer avec les exigences des clients tout en formant une communauté soudée

Critique : Personale

Ce qui se passe dans "les coulisses" d’un hôtel ne le reste pas. C’est ce qu’affirme Carmen Trocker dans son premier long-métrage documentaire, Personale [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Carmen Trocker
fiche film
]
, qui signifie "employé" ou "personnel". L’œuvre d’observation de Trocker, présentée en avant-première dans la section Luminous de l’IDFA, navigue entre des éléments de transnationalisme, de travail non reconnu et de communauté. Dans cette réorganisation de lieu et d’espace, la collection d’images du film déconstruit la splendide façade, transformant un hôtel de luxe, véritable lieu de détente, en un espace de travail intense et parfois précaire.

L’idée apparemment simple suit le quotidien d’une équipe multiculturelle d’agents d’entretien du Cavallino Bianco, un hôtel familial quatre étoiles situé dans les Dolomites italiennes du Sud-Tyrol. On trouve dans cette équipe majoritairement féminine Rodica Merlici, Ousmane Diarra, Olena Mokilak, Raimonda Kacbufi, Klodiana Dedej et Ibrahim Tounkara. Sous la supervision de la gouvernante Camelia Ungureanu, la responsable du personnel veille à ce que l’équipe travaille dur (à un moment donné, les agents souffrent indéniablement de surmenage) pour satisfaire le standing souhaité par l’hôtel, soignant chaque détail jusqu’à la position des oreillers.

Entre les tâches quotidiennes d’entretien des chambres et les demandes ingrates des clients de nettoyer les vêtements maculés de vomissure, le personnel trouve des moyens de créer des liens à travers les âges et les cultures, même lorsqu’ils communiquent dans leur seconde, voire leur troisième ou quatrième langue. "Ce n’est pas mon travail, c’est le nôtre", déclare Ruth Siehi Monsekela, en évoquant la répartition équitable des responsabilités. Mais cette philosophie semble s’appliquer à l’ensemble de l’hôtel, où les mêmes causes produisent les mêmes effets. Une jeune femme originaire de Libye et un jeune homme du Mali se rapprochent pour savoir où ils vont célébrer le ramadan, pendant que d’autres se réconfortent mutuellement autour d’un pull en cachemire hors de prix dont le lavage a mal tourné. Dans une scène, trois personnes se disputent l’arrosage des fleurs, dans une autre, ils se congratulent pour un travail bien mené. Chaque conversation apporte quelque chose de nouveau dans ce film quasiment dénué d’intrigue.

Trocker initie très tôt le public à son langage cinématographique, créant un sens de minimalisme accessible à travers une conception sonore active signée Nora Czamler. Personale s’ouvre sur un membre du personnel qui remet les chaises à leur place, chaque grincement et crissement du métal sur le sol heurtant les oreilles du spectateur. Même lorsque ce bruit est relégué au rang de son d’ambiance, il est encore présent : le vrombissement des machines à laver industrielles, le bruit sec des draps blancs qui claquent, le grésillement des néons fluorescents.

La caméra de la directrice de la photographie Małgorzata Szyłak observe, sans jamais sombrer dans le voyeurisme, sans rendre les tâches trop rythmées ni les réduire à une dimension fétichiste, qui éliminerait l’intervention du personnel. Les plans longs du film ne sont jamais totalement statiques se déplaçant légèrement pour suivre le personnel qui évolue dans l'espace. Ce faisant, ils nous permettent de saisir le quotidien des travailleurs tel qu'il se présente. À l'inverse, les plans rigoureusement entrecoupés de restes de gâteaux et de tas de déchets sont immobiles, comme si Trocker créait des portraits de nature morte. Personale est entièrement filmé à l'intérieur de l'hôtel. Aussi l’apparition à l’écran du magnifique paysage verdoyant qui entoure le bâtiment lui donne un caractère extrêmement artificiel.

Dans une des dernières scènes du film, deux hommes vêtus de chemises d’un blanc immaculé, des membres du personnel d'accueil de l'hôtel, croisent deux des personnages du film qui parlent russe. L'un des hommes lève même un sourcil rapide vers la caméra, comme pour s’interroger sur la présence de l’objectif sur ces deux femmes. Ce moment nous rappelle que tout ce que nous avons pu voir pendant tout ce temps n’était pas "censé être vu", mais l'importance de cet acte de témoignage et de reconnaissance subsiste après la fin du film. Si tout n'est pas beau, la vraie vie offre au moins quelques bribes de beauté.

Personale est une production Bagarrefilm de Trocker (Italie) et de Mischief Films (Autriche) en collaboration avec Albolina Film (Italie). Filmdelights est responsable des ventes à l’étranger.

(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy