Critique : Pink Lady
par David Katz
- Dans le nouveau film de l'Israélien Nir Bergman, un couple ultra-orthodoxe se retrouve aux abois quand le fait que le mari est secrètement queer est découvert

Tout au long de Pink Lady, les personnages principaux bafouillent et se perdent dans leurs pensées au sujet du "plan de Dieu", nous rappelant que pour les vrais croyants comme eux, la foi s'ancre largement dans le doute et la confusion, pas dans une inébranlable certitude. Cette contradiction est à la fois brute et assez complexe pour faire passer l'individu au second plan, et constituer un conflit autour duquel peut s'articuler un scénario solide : si l'homosexualité est profondément contraire au judaïsme, comment Dieu pourrait-il l'avoir infligée à un de ses fidèles de la communauté haredim, très influente et crainte en Israël ? Après Here We Are [+lire aussi :
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fiche film], qui s’est vu apposer le Label Cannes 2020, Nir Bergman présente Pink Lady en première mondiale dans le cadre de la compétition du Festival Black Nights de Tallinn. Le film, écrit par Mindi Ehrlich (dont c'est le premier scénario pour un long-métrage), qui a grandi dans cet environnement religieux, est un autre exemple de film israélien récent qui a été coproduit en Italie.
Bati (Nur Fibak dans son premier rôle important depuis Le Genou d'Ahed [+lire aussi :
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interview : Nadav Lapid
fiche film] de Nadav Lapid) aspire à l’idéal ultra orthodoxe dans la Jérusalem d’aujourd’hui : elle travaille dans un mikvé (bain rituel), s'occupe tendrement de ses deux jeunes enfants et se dédie à perpétuer le rôle traditionnel de la femme, qui est de veiller sur la famille et le foyer. Elle est jeune et ingénue (un trait qui est nettement souligné, pour créer une opposition binaire dans le scénario), de sorte que son univers éclate en mille morceaux quand arrivent dans sa boîte aux lettres des photos compromettantes de son mari Lazer (Uri Blufarb) lové avec un autre homme dans une voiture. Elle se rend compte que son mariage a toujours eu un côté insatisfaisant, qu'il y avait depuis toujours un malaise (qu'on perçoit plus tôt dans le film quand Lazer semble souffrir physiquement pendant leur rapport sexuel mensuel, effectué au moment opportun par rapport au cycle de Bati), et en voilà la raison. Les attitudes par rapport à la situation varient : Bati entame un long processus de déni, de négociation et d’acceptation ; Lazer ne pouvant plus protéger son secret, il accepte avec réticence une avilissante thérapie de conversion religieuse ; les gens de sa communauté orthodoxe qui le font chanter tentent de se débarrasser violemment de cet élément qui "dégoûte" Dieu et à cause duquel Il risque de tous les punir.
Les différents défauts de construction et de dramaturgie de Pink Lady font parfois du tort au propos, mais il n'en reste pas moins que c'est un film très urgent, à sa manière : c’est une autopsie de ce qui ronge les communautés fermées et opprimantes (celle des ultraorthodoxes dépeinte dans le film et toutes les autres communautés similaires partout dans le monde) doublée d'un signal d'alerte désespéré sur la fragilité du statu quo plus que ce n'est un plaidoyer libéral final en faveur de plus de tolérance et d'une réforme. La communauté haredim est une des pierres angulaires de l'Israël moderne, elle a manifestement une influence politique plus grande ces dernières années et les opposants en son sein, comme Lazer puis Bati elle-même (dont la perruque rose, qui rappelle celle de Natalie Portman dans Closer, entre adultes consentants, va lui permettre de faire l'expérience de l'intégration dans la société laïque), ne sont pas près de l'empêcher de perpétuer ses préceptes de génération en génération, bien qu'ils soient emblématiques du fait qu'en 2024, il est de plus en plus difficile de rejeter le monde moderne. La dissonance cognitive qu'on sent quand ils prononcent des mots comme "Photoshop" (au moment où Lazer essaie de nier en noyant le poisson), quand on entend les joyeux podcasts validés par la communauté orthodoxe ou quand on voit Lazer se faire passer à tabac par un gang de types aux longues barbes portant des vêtements lâches qui font l'effet de voyous, est clairement intentionnelle de la part de Ehrlich et Bergman.
Pink Lady, qui se présente d'abord comme un film d’auteur semi-mystérieux (la famille est initialement consumée par la survenance énigmatique des photos clandestines), vire ensuite à la comédie sexuelle pure et dure (une tradition historique dans le cinéma israélien, pourrait-on dire) quand Lazer et Bati tentent une dernière fois de rentrer dans la camisole de force de l'union non désirée. Cette forme et trajectoire mal unifiées créent une disjonction regrettable qui nuit à l'important propos que formule Pink Lady sur un des éléments les plus fébriles de l'Israël d'aujourd’hui.
Pink Lady a été produit par 2-Team Productions (Israël) et Rosamont (Italie). Les ventes internationales du film sont gérées par mk2 films.
(Traduit de l'anglais)
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