BLACK NIGHTS 2024 Critics' Picks
Critique : I, the Song
par Olivia Popp
- Dans le deuxième long-métrage de Dechen Roder, le combat d'une femme pour être innocentée devient une quête existentielle pour découvrir la vérité derrière la disparition de son sosie

Dans I, the Song [+lire aussi :
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fiche film], qui n’est pas tout à fait une histoire de fantômes entre des filles qui ne sont pas tout à fait des soeurs, la réalisatrice bhoutanaise Dechen Roder tisse ensemble un quilt d’identités éronnées et de désirs austères au Bhoutan, complétant le récit par un travail d'éclairage absolument somptueux qui porte le film un cran au-dessus. Dans ce deuxième long-métrage, huit ans après le film à mystère proche du film noir Honeygiver Among the Dogs (2016), Roder troque les bas-fonds urbains contre les beaux paysages du Bhoutan. Pour I, the Song, qui oscille entre les sphères sociales du pays et des décors plus naturels, Roder, qui a également écrit et produit le film, a remporté le prix de la meilleure mise en scène dans la section Critics’ Picks du dernier Festival Black Nights de Tallinn.
Nima (Tandin Bidha), une institutrice timide à la voix douce, est renvoyée de son poste sans autre forme de procès après que les autorités aient eu vent d’une courte vidéo intime (surnommée la "vidéo bleue" à cause de la lumière) circulant sur WeChat où semble apparaître à Nima. Elle se résout rapidement à éclaircir l’affaire et découvre que la femme dans la vidéo est une femme plus extravertie appelée Meto (également jouée par Bidha) qui lui ressemble étonnamment, sauf que Meto a les cheveux courts, une frange et un petit grain de beauté sous l'œil droit. Nima se lance alors dans une quête pour trouver son sosie et laver sa réputation mais très vite, sa quête devient de plus en plus existentielle et conduit à des histoires parallèles liées à la disparition de Meto.
Nima rencontre d’abord l'ex petit ami de Meto, Tandin (Jimmy Wangyal Tshering), guitariste et chanteur dans un bar local, éclairé par des néons. Tandin, cheveux longs, tatoué, doté d'une voix rauque de rockstar, affiche un rictus méprisant permanent. On peut de fait comprendre que Nima soit à la fois dissuadée et étrangement intriguée par ce personnage. Quand elle rencontre l’ami de Meto, Phuntsho (Tshering Dorji), ancien employeur de Meto, ainsi que la famille de la jeune femme, le brouillage entre leurs deux identités s'accentue, ce dont Roder se sert pour suggérer un angle plus gentiment mythologique. Nima serait-elle une autre manifestation de Meto : un fantôme ou une version métamorphosée de celle qu'elle cherche ? Ou peut-être sont-elles une seule âme divisée en deux ?
I, the Song, qui dure près de deux heures, aurait pu être écrémé un brin, mais chaque scène déborde d'une telle richesse visuelle qu’on ne peut pas s’empêcher de pardonner à Roder cette durée plutôt complaisante. La réalisatrice n’a pas peur de tendre vers une approche plus stylisée, oscillant entre le monde extérieur, lumineux et opulent, et un univers souterrain plus trouble et brumeux où Nima est catapulée, un environnement rendu encore plus spécial par le travail intense sur les éclairages. Regarder la "vidéo bleue" happe littéralement Nima dans ce nouveau monde, qui devient immédiatement bleu, car Roder utilise des lumières colorées extrêmement fortes pour éclairer les intérieurs.
Bien que la réalité semble parfois courbe, le sous-courant d'éléments plus magiques que Roder introduit peu à peu reste fluide jusqu'au bout, et c'est probablement une bonne chose, compte-tenu du fait que I, the Song évite soigneusement les nombreux clichés exoticisants qu'on peut rattacher à un pays comme le Bhoutan. Il y a quelque chose de profondément onirique dans son film, qui laisse juste assez d’espace entre les scènes de Nima et Meto pour que le spectateur continue de se demander s'il y a quelque chose de plus qui connecte les deux. Un élément à la Wong Kar-Wai est présent dans beaucoup des scènes entre Tandin et Meto, ainsi qu'entre Tandin et Nima, où une foule de choses peuvent être lues entre les lignes.
Roder n'oublie pas non plus la beauté de son pays, offrant des coups d'oeil sur les paysages verdoyants et agrémentant son histoire de chansons en dzongkha (la langue officielle du Bhoutan) interprétées par Tandin, Meto, Nima et d’autres. Ceci est complété par une subtile musique ambiante expérimentale à base de cordes pincées et de sons non identifiables qui ajoutent à l’atmosphère rêveuse. Tout en restant sur le terrain du film à mystère doublé d'un drame psychologique, I, the Song va vers un message plus universel sur la solidarité féminine. Au début, Nima est effarée qu'un document comme la vidéo bleue puisse la représenter, mais sa quête va l'amener vers de nouvelles émotions.
I, the Song est une production entre le Bhoutan, la Norvège, l'Italie et la France qui a réuni les efforts de Dakinny Productions (Bhoutan), Fidalgo Film Production (Norvège), Volos Films Italia (Italie) et Girelle Production (France). Les ventes internationales du film sont gérées par Diversion Co, Ltd.
(Traduit de l'anglais)
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