Critique : Los restos del pasar
par Júlia Olmo
- Luis “Soto” Muñoz confirme, avec ce film émouvant sur le passé et la mémoire, qu’il est un des réalisateurs espagnols les plus prometteurs et singuliers du moment

Dans notre esprit, les villages sont un lieu où on peut revenir parce que là-bas, d’une manière ou d’une autre, on restera toujours des enfants. Antonio évoque son enfance dans un petit village près de Cordoue, et son esprit l'amène à repenser au rituel de la Semaine sainte, aux mains des femmes tissant les jours au fil de leurs tâches quotidiennes, aux traditions et à l’artisanat qui composent l’identité d'un lieu aussi singulier que l’Andalousie. Antonio se souvient particulièrement de Paco (l'artiste Paco Ariza, né à Baena, le village où se situe le film), un peintre déjà vieux qui plus qu'à peindre, lui apprend à observer la vie comme un lieu de passage et essaie de calmer les inquiétudes de l’enfant sur la religion ou la mort. Voilà l’histoire que raconte Los restos del pasar [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], le deuxième long-métrage de Luis “Soto” Muñoz (auquel on doit déjà l'émouvant Sueños y pan [+lire aussi :
critique
fiche film]), co-réalisé avec Alfredo Picazo. Après sa première au Festival de Gijón de 2023, où il a remporté le Prix FIPRESCI du meilleur film de la section Tierres en trance, puis un passage au dernier Festival de Séville (dans la section Panorama andalou), le film arrive dans les cinémas espagnols ce 29 novembre, distribué par Les Films de la Résistance.
Los restos del pasar est une approximation, entre fiction et documentaire, d'un tableau des traditions liées à la Semaine sainte telle que l'ont vécue ses auteurs, dont l'essence profonde est la combinaison entre mémoire individuelle et mémoire collective. C'est un film sur la tradition dont le héros, dans ce qui paraît être son dernier soupir, se remémore une Semaine sainte de son enfance, dans le village où il a grandi. Sept jours qui vont le transformer en l'adulte qu'il est à présent et qui tente d’évoquer l'enfant qu'il fut. Les particularités d’un lieu, le sens de ses coutumes et de ses croyances, ses manières de vivre et de célébrer la vie et la mort, les liens entre la mémoire individuelle et la mémoire collective, le passage du temps, le souvenir et l'oubli, l'inéluctable fugacité de tout ce qui nous habite : tout cela est raconté avec une sensibilité éblouissante, subtilement, avec délicatesse et poésie (un réalisme poétique qui rappelle le Carlos Saura le plus lyrique et folklorique) et quelque chose d'un peu magique, dans ce film intimiste au rythme tranquille, habité par une certaine nostalgie qui participe de la force des images, ce film qui laisse ces dernières parler (ainsi que la bande originale, très puissante) et exprimer des souvenirs, des émotions, des sentiments, des états d'âme, de la douleur, de la souffrance, de la peur, de la curiosité, rendre compte de la beauté, la foi, l'invisible.
Là réside précisément la grande force du film : dans sa capacité d’exprimer davantage ce qui n'est pas dit que ce qui est dit à travers le puissant imaginaire visuel que ses réalisateurs ont créé à travers les images de la Semaine sainte : les paysages, les objets, les visages qu'ils filment, les couleurs (même si une grande partie du film est en noir et blanc) et les textures. Le film se distingue aussi en ce que ses auteurs ont su rendre tout ce monde à travers le regard d’un enfant, un regard innocent, très beau, curieux, fasciné, qui transmet aussi une certaine mélancolie et de la crainte, et qui contraste avec la voix off de l’adulte qu'il est devenu et qui s’apprête désormais à quitter la vie en évoquant ce passé qui exista un jour. C'est avec ces yeux que l’enfant observe les petites choses qui constituent son monde et ses jours et c'est ce regard qui nous plonge dans son intimité et qui arrive à nous émouvoir en profondeur, nous offrant aussi quelques images qui resteront dans nos souvenirs.
"Miguel Hernández disait que la main est l'outil de l'âme", dit la voix off de l'adulte. Ces mains qui parcourent le film, qui, en lavant, en tissant, en pétrissant le pain, en cuisinant, en peignant, en touchant d'autres mains, parlent d’un peuple et de ses origines. Los restos del pasar confirme qu'on a affaire ici à un réalisateur prometteur. C'est un film à contre-courant, plein de tendresse et d’émotion, un magnifique hommage au passé qui habite la mémoire.
Los restos del pasar a été produit par Mubox Studio et Du Cardelin Studio. Les ventes internationales du film sont assurées par Les Films de la Résistance.
(Traduit de l'espagnol)
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