Critique : Prefiro condenarme
par Cristóbal Soage
- La Galicienne Margarita Ledo Andión continue d'explorer avec beaucoup de sensibilité et d'acuité intellectuelle les histoires féminines du passé qui marquent le présent
Le cinéma de Margarita Ledo Andión est toujours un exercice profond et radical de mémoire. La réalisatrice prend plaisir à repêcher dans le passé des histoires encore peu explorées et à les examiner à la lumière du présent. Ceci dote les récits qu'elle construit d’une complexité évidente qui enrichit ses films et les transforme en objets où la narration historique, la réflexion politique et philosophique, le portrait intime et l’expression artistique multidisciplinaire se conjuguent pour former un tout unique et fascinant. Dans Prefiro condenarme, à l'affiche depuis le 22 novembre en Espagne (distributeur : Atalante) après avoir obtenu une mention spéciale dans la section Nuevas Olas du Festival de Cine Europeo de Sevilla, elle tourne son attention vers Sagrario Ribela Fra, dont le métier était de ramasser des crustacés dans la ria de Ferrol, au nord-ouest de la Galice. L'histoire faite d'efforts et de sacrifices de Sagrario est similaire à celle de beaucoup de Galiciennes, sa particularité à elle étant qu'elle a été poursuivie en justice pour adultère pendant les dernières années de la dictature franquiste.
Le film s’ouvre sur des images qui renvoient à la première moitié du XXe siècle. On y voit des femmes qui ramassent des bernacles, attachées par les pieds et les mains à des rochers battus par une mer féroce. Tout de suite après, la voix de Mónica de Nut intervient qui produit un effet similaire. Seule face à un micro, elle chante en émettant des cris aigus et puissants, un chant qui est une prouesse de technique vocale, mais aussi une espèce de dispositif qui va chercher les émotions humaines les plus viscérales. C'est dans cet équilibre entre un discours plus intellectualisé et un récit populaire universel que Prefiro condenarme trouve sa raison d'être. Le film s'avère être une fresque éblouissante où des images d'archives, le témoignage de Sagrario, des conversations avec des actrices, des petites scènes interprétées par elles ainsi que des performances musicales et poétiques s'entrecroisent, dotant d'encore plus de profondeur un récit en soi déjà complexe.
À travers l’histoire de Ribela Fra, on découvre des réalités qui étaient relativement quotidiennes pour les femmes sous la dictature et qui, bien qu'elles continuent d'avoir des échos dans un présent où la violence systémique contre les femmes est loin d’avoir été éradiquée, sont aujourd'hui très peu connues. L'affaire de l'adultère en fait partie : jusqu'à sa dépénalisation en Espagne, en 1978, on pouvait accuser sans preuves n’importe quelle femme alors que le délit n'existait pas pour les hommes. Ces derniers ne pouvaient être poursuivis que pour concubinage, et encore fallait-il en apporter des preuves. On note cependant l'effort que fait le film pour ne pas être simpliste ou manichéen. Quand il raconte la difficile relation de Sagrario avec sa mère, qui l'a souvent abandonnée, il évite l'image de la femme fragile et éternelle victime, et montre plutôt une femme indépendante au point de ne pas se soucier de sa propre fille. La même chose vaut pour les moments où sont évoquées les histoires de Sagrario avec les hommes : en plus de souligner la cruauté et la violence subies auprès de son mari, le film raconte avec beaucoup de tendresse les moments de bonheur que Rosario a vécu avec son amant, un homme bon et "digne d’être aimé".
En définitive, Prefiro condenarme est un travail émouvant, intelligent, sensible et courageux. Ledo Andión dirige avec maestria un chœur où la voix principale, celle de Sagrario, s'harmonise avec celle d'artistes comme les actrices Mónica Camaño, Melania Cruz et Iria Piñeiro, la chanteuse Mónica de Nut, les artistes plasticiens Maruja Mallo et Ricardo Segura Torrella, les poètes Luisa Villalta et Eva Veiga ou encore la musicienne Carme Rodríguez. Le résultat est une œuvre riche en nuances qui propose un portrait honnête, juste et plein d’amour pour son héroïne.
Prefiro condenarme a été produit par Nós Productora Cinematográfica Galega.
(Traduit de l'espagnol)