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MARRAKECH 2024

Critique : Fanon

par 

- Jean-Claude Barny évoque la vie et le legs de l'intellectuel, psychiatre et révolutionnaire anti-colonialiste martiniquais Frantz Fanon sans perdre l'essence de son travail

Critique : Fanon
Alexandre Bouyer dans Fanon

Les festivaliers se souviennent peut-être qu’il y a déjà eu un film cette année, par Abdenour Zahzah, dédié à l’écrivain, psychiatre et révolutionnaire anticolonialiste Frantz Fanon, un travail portant le titre très complet de Chroniques fidèles survenues au siècle dernier à l'hôpital psychiatrique Blida-Joinville, au temps où le docteur Frantz Fanon était chef de la Cinquième Division entre 1953 et 1956 [+lire aussi :
critique
fiche film
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qui a été projeté à la Berlinale. S'il se penche sur la même période de la vie de l'intellectuel, le nouveau film de Jean-Claude Barny (qui a des origines en Guadeloupe, et à Trinité-et-Tobago), simplement intitulé Fanon, en propose une vision plus populaire. Les deux films ne sauraient être plus différents l’un de l’autre : avec son style attrayant et bien poli, le film de Barny est beaucoup plus viable commercialement que son collègue minimaliste en noir et blanc. Fanon, scénarisé par Barny et Philippe Bernard, vient de faire sa première mondiale parmi les séances spéciales du Festival international du film de Marrakech.

Fanon dépeint la période d'environ trois ans où Fanon a dirigé un département de l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, en Algérie, et se termine quelques temps après son départ. On voit comment le savant a transformé le champ de la psychiatrie, tout en écrivant son livre psychanalytique sur la colonisation, à présent révéré, Les damnés de la terre. Le film rend aussi compte du soutien de Fanon à la révolution algérienne qui couvait, à travers des réunions secrètes, sans jamais indiquer nettement qu'il faisait en fait partie du Front de libération nationale (FLN).

Le Fanon de Barny (Alexandre Bouyer) est présenté comme une figure héroïque. L'homme, qui plus est très beau, inspire tout le monde autour de lui, ses patients comme son équipe : l'employé de l’hôpital algérien de langue arabe Hocine (Mehdi Senoussi), qui fait entrer Fanon directement du côté de la révolution à travers le leader local Ramdane (Salem Kali), et deux jeunes membres du personnel médical juifs algériens, le docteur Jacques (Arthur Dupont) et l'étudiante Alice (Salomé Partouche). Fanon est soutenu par sa femme française, Josie (Déborah François), qui promeut inconditionnellement ses écrits et son travail en psychiatrie (Barny omet de préciser qu'elle était elle-même extrêmement active politiquement, et qu'elle a ensuite soutenu la cause palestinienne).

Au-delà du combat, à plus grande échelle, entre les Algériens et les Français, représenté par une dispute enflammée avec l'impitoyable sergent Rolland (Stanislas Merhar), il y a ici presque trop peu de conflit interpersonnel pour qu’on se sente à l'aise – ni Josie, ni le personnel hospitalier, ne semblent avoir une seule plainte à formuler sur un Fanon qui est présenté comme presque parfait. Les dynamiques entre les personnages sont par trop simplifiées, et les éclats d'émotion sont parfois surjoués, mais la majeure partie du scénario suivant un rythme régulier, le film reste assez facile à regarder. Fanon s'engouffre aussi, dans son dernier quart, du côté du thriller politique voire du film d’espionnage. L'impression mélodramatique que produit le film tient à l'omniprésence de la musique (de Thibault Kientz-Agyeman et Ludovic Louis), qui frise parfois, étrangement, l'exotisation de son environnement à travers des riffs musicaux.

Fanon est connu pour avoir écrit dans un style profondément émouvant et évocateur qui est parfois difficile d'accès, mais Barny a su trouver des extraits tout à fait digestes. Placé en tandem avec des exemples d'injustice universellement compréhensibles, le rude traitement réservé aux patients fait écho aux luttes coloniales, de l'autre côté des murs d'enceinte de l’hôpital. De fait, malgré ses défauts, évidents, il faut noter que Fanon se démarque par le fait qu'il porte le travail et la vie de l’écrivain à l’écran d'une manière qui est extrêmement divertissante et viable commercialement. C’est la grande réussite de Barny : Fanon aura ainsi peut-être une chance de devenir un nom connu au-delà du monde des universitaires, des militants et des gens intéressés par le pan-africanisme et la pensée décoloniale.

Fanon a été produit par Special Touch Studios et WebSpider Productions en France, Peripheria Films au Canada et Paul Thiltges Distributions au Luxembourg. Special Touch Studios assure aussi les ventes internationales du film.

(Traduit de l'anglais)

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