Critique : Mikado
par Fabien Lemercier
- Dans le sillage d’une famille se cachant en marge de la société, Baya Kasmi met en scène un film touchant, en parfait équilibre entre dureté et douceur

"C’est fou comme tu as besoin à chaque fois de rigoler quand c’est triste." C’est un nouveau territoire de paradoxes et de nuances que Baya Kasmi a décidé d’arpenter en s’écartant avec Mikado [+lire aussi :
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fiche film], du genre de la comédie intelligente qui était jusqu’alors sa marque de fabrique (Je suis à vous tout de suite [+lire aussi :
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fiche film], Youssef Salem a du succès). Et la cinéaste française a très bien fait tant son nouveau film, projeté en avant-première au 16e Les Arcs Film Festival (une étape supplémentaire dans une tournée festivalière à succès, d’Angoulême à Jeddah, en passant par Arras) et qui sera lancé dans les salles de l’Hexagone par Memento Distribution le 9 avril, est une réussite éclatante, une oeuvre d’une très grande sensibilité intime alliée à une mise en scène atmosphérique subtile.
"Planquez-vous, les enfants". C’est la panique pour Mikado (Félix Moati) et Laetitia (Vimala Pons) quand la gendarmerie surgit au milieu de nulle part pour remettre au trentenaire une citation à comparaitre à Marseille dans un procès pour harcèlement. Mensonge ("ce n’est pas mon fils, mais celui des voisins"), fuite éperdue sur les routes dans leur petit van avec leurs deux enfants, l’adolescente Nuage (Patience Munchenbach) et le jeune Zéphyr (Louis Obry), puis décision : "tu vas y aller, t’excuser, sinon ils nous retrouveront et ils prendront les enfants", "je vais les balancer, ça fait longtemps que j’aurais dû tout dire."
Quel est ce couple étrange, très amoureux et aux abois ? Quels crimes ont-ils donc commis pour frissonner ainsi au moindre contrôle routier ? Une rencontre de hasard (une panne) avec Vincent (Ramzy Bedia), un enseignant veuf vivant avec sa fille Théa (Saül Benchetrit) dans une bastide isolée où il accepte par gentillesse (mais pas que…) d’héberger la petite famille nomade le temps que l’alternateur défaillant du van soit livré, éclaircira peu à peu le tableau. Mais tous les problèmes n’en seront pas pour autant résolus. Car les nœuds du passé des écorchés vifs Mikado et Laetitia, sont très délicats à démêler sans casse alors que Nuage arrive à un âge où elle aspire à une existence plus "normale"…
Casting impeccable (mention spéciale à la charismatique Patience Munchenbach), scénario très finement ajusté entre accélérations et dévoilement progressif par la réalisatrice avec Olivier Adam et Magaly Richard-Serrano, superbe photographie sensuelle signée Romain Le Bonniec, alchimie entre une ambiance estivale solaire et une puissante mélancolie sous-jacente : le film regorge de qualités sous son apparence modeste de coup de projecteur sociétal sur la marginalisation volontaire en réaction à la brutalité et parfois à l’injustice du monde. Un sujet dont Baya Kasmi s’empare avec une très émouvante humanité en mariant avec beaucoup d’acuité la joie et tristesse en un mélange doux-amer que seul le lien entre les êtres, même s’il n’est pas toujours facile à tisser, réussit à fondre en espérance.
Mikado a été produit par Karé Productions et Films Grand Huit. Pulsar Content pilote les ventes internationales.
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