SUNDANCE 2025 Compétition World Cinema Dramatic
Critique : The Things You Kill
par Fabien Lemercier
- Sous le masque d’un passionnant thriller familial, empli de mensonges et d’énigmes, Alireza Khatami explore en profondeur les mécanismes de la transmission de la violence masculine

"La vérité, c’est moi qui en décide", "Tu me mens et tu te mens peut-être aussi à toi-même." À l’instar de ces deux déclarations sans lien apparent glissées par deux des personnages de The Things You Kill [+lire aussi :
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interview : Alireza Khatami
fiche film], dévoilé au Festival de Sundance dans la compétition World Cinema Dramatic, le nouveau film du cinéaste irano-américain Alireza Khatami (meilleur scénario à Venise Orizzonti en 2017 avec Les Versets de l’oubli [+lire aussi :
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interview : Alireza Khatami
fiche film] et apprécié à Cannes Un Certain Regard en 2023 avec Chroniques de Téhéran) s’immerge graduellement dans un captivant petit théâtre d’ombres, de secrets et de crime, de plus en plus riche en possibilités d’interprétation.
Instillant une contamination souterraine et insidieuse sur le sujet de la transmission de génération en génération de la violence patriarcale, le réalisateur dissimule longtemps et très habilement le cœur de son propos quasi psychanalytique derrière la façade ultra réaliste d’une classique histoire de conflits familiaux latents et de décès cathartique se transformant en une sorte de thriller quasi policier avant de basculer vers des zones encore plus troubles, à la lisière du cauchemar, du passage de l’autre côté du miroir et du dédoublement de personnalité. Un grand jeu de devinettes sur la nature humaine construit avec beaucoup de talent et d’audace de narration (un scénario signé par le cinéaste) qui s’ouvre sur le récit d’un rêve impliquant un père demandant à ce que l’on "tue la lumière" au lieu simplement de l’éteindre.
Ce père, c’est celui d’Ali (Ekin Koç), un trentenaire professeur de linguistique à l’université qui est revenu en Turquie après 14 années aux États-Unis. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux hommes ne s’entendent pas, Hamit, le père (Ercan Kesal), faisant preuve d’un autoritarisme constant ("c’est ma maison. Je fais ce que je veux") alors que son fils s‘inquiète pour sa mère, physiquement très mal en point et à la merci du bon vouloir de son mari. Mais Ali a aussi d’autres soucis puisqu’il n’arrive pas à avoir d’enfant avec sa compagne Hazar (Hazar Ergüçlü) à qui il ment par omission quand il apprend que c’est la faiblesse de son sperme qui est la cause de leur problème. Alors il aime se réfugier à l’extérieur de la ville, dans la vallée, où il a acheté un terrain qu’il espère transformer en jardin mais qui souffre d’un déficit d’eau, un problème dont Reza (Erkan Kolçak Köstendil), un homme surgi de nulle part et que Ali embauche, connait la solution : corrompre l’administration pour fracturer la roche et creuser un puits plus profond. Le tableau est donc dressé quand survient la mort soudaine de la mère provoquée par une chute, un décès sur lequel Ali commence très vite à avoir de soupçons alimentés par de perturbantes découvertes. Des révélations qui vont précipiter les événements et Ali dans la tourmente…
Acéré et passionnant, The Things You Kill est une oeuvre très subtile, filmée au cordeau et qui livre au spectateur un saisissant champ de réflexion sur l’héritage de la violence masculine tout créant à dessein une forme d’étrangeté, une porosité croissante que certains pourront peut-être trouver un brin déconcertante, mais qui se révèle en réalité cinématographiquement particulièrement stimulante.
The Things You Kill a été produit par les sociétés françaises Fulgurance et Remora Films avec la société polonaise Lava Films, la société turque Sineaktif, la société canadienne Band With Pictures et la société américaine Tell Tall Tale. Best Friend Forever pilote les ventes internationales.
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