Critique : All That’s Left of You
par David Katz
- Le grand drame historique par Cherien Dabis montre les répercussions de la Nakba sur trois générations d'une même famille palestinienne

L’état terminal actuel du conflit israélo-palestinien (associé aux efforts pédagogiques de plusieurs commentateurs spécialisés ainsi qu'à la sympathie de plus en plus grande du reste du monde pour la cause palestinienne) appelle un changement de la représentation qu'en donnent les médias. Dans All That’s Left of You [+lire aussi :
interview : Cherien Dabis
fiche film], de Cherien Dabis, l'histoire et le documentaire fusionnent à travers le récit d'une saga familiale universelle qui permet d'intégrer des détails historiques complexes dans des mythes personnels et collectifs émancipateurs. Pour dire les choses plus simplement, cette histoire aurait difficilement pu être dite (et financée) de la même manière il y a ne serait-ce qu'une décennie, mais maintenant, c'est le moment, et le film puissant de Dabis fait qu'on se rapporte aisément à la phénoménale souffrance de ses personnages, rendant les traumatismes qu’ils ont subis plus tangibles au lieu de les diminuer. Ce long-métrage, qui a fait sa première à Sundance, représente un retour en fanfare pour Dabis – après le film qu'il l'a fait connaître, Amreeka, elle s'est en effet absentée un temps du grand écran pour travailler sur des séries américaines de haute qualité. Elle porte dans All That's Left of You une double casquette et joue un des rôles principaux, ce qui rappelle ce que fait Nadine Labaki dans les films tout aussi passionnés qu'elle réalise.
Bien que Dabis soit née aux États-Unis et qu'elle y ait grandi, elle s’appuie sur ce qu'a vécu son père palestinien exilé. Le scénario qu'elle a composé dépeint une famille type dont la trajectoire compliquée rend compte de l’impact dévastateur de la Nakba. Le film, qui passe dans l'ordre de 1948 à 1978, puis à 1988 et enfin 2022, relate les mésaventures de la famille Hammad (dont trois personnages joués, soit dit en passant, par trois membres de l'éminente dynastie de cinéma que sont les Bakri). Au début, ils mènent une existence confortable de gens de la classe moyenne élevée (qui doivent leur prospérité à leur activité agricole), mais ils doivent ensuite fuir vers le camp de réfugiés de Naplouse, en Cisjordanie, où une tragédie qui frappe leurs enfants pendant des manifestations anti-occupation complique encore davantage leur difficile situation.
La manière dont Dabis décrit leur expulsion de leurs terres par les forces sionistes, vue du point de vue du patriarche de la famille, Sharif (joué par Adam Bakri dans la section qui se passe en 1948, puis par son père Mohammad en 1978) pourrait à vrai dire être plus éprouvante et déstabilisante, bien que Sharif passe quelques mois dans un camp de prisonniers pendant que sa femme Munira et leur fils Salim se dirigent vers l’ouest : c'est que le fait d'être une famille assez aisée leur permet d'être un peu plus préservés, même déplacés. Cela tient peut-être à des questions de budget de la production (ce qui n'enlève rien à l'excellent travail fourni à tous les postes et à la splendeur visuelle du film), le fait qu’on ne voit pas leur lutte dans le contexte plus vaste de la dépossession collective minimise un peu cette étape de l'impact tumultueux de la Nakba.
Cependant, du fait du statut diasporique de la la réalisatrice, l'émotion est placée dans les conflits générationnels et politiques entre les hommes de la famille, Salim (joué à l'âge adulte par Saleh Bakri) étant une figure plus conformiste et influençable que son père, qui même âgé, porte encore des cicatrices métaphoriques et dont les principes nationalistes commencent en revanche à influencer son petit-fils Noor. Le destin de Noor comme jeune adulte est ce qui entraîne chez son père un surcroît de reconnaissance existentielle de leur éloignement physique, mais aussi mental, d’une terre qui était à eux, et dont la restitution rétablirait enfin une forme de paix au sein de cette famille.
Le spectateur pourra regretter les raccourcis empruntés, et trouver que cette famille inventée ne cristallise et ne représente pas pleinement l'impact violent de la Nakba, qui est encore en cours. Cependant, l'équilibre factice créé ici entre les deux côtés de l'argument est une expression rafraîchissante de résistance : à travers la narration de Dabis, les Palestiniens retrouvent leur dignité et Israël porte toute la responsabilité, et c'est mérité.
All That’s Left of You est une coproduction entre l’Allemagne, Chypre, la Palestine, la Jordanie, la Grèce, le Qatar et l’Arabie Saoudite qui a réuni les efforts de Pallas Film, Twenty Twenty Vision Filmproduktion, Displaced Pictures et Nooraluna Productions. Les ventes internationales du film sont gérées par The Match Factory.
(Traduit de l'anglais)
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