Critique : The Sky Above Zenica
par Fabien Lemercier
- Nanna Frank Møller et Zlatko Pranjić retracent formidablement une lutte citoyenne au long cours en Bosnie contre une multinationale pollueuse et des institutions complices

"Dans un rayon de 100 mètres, il y a des cancers partout. Que dire de plus ? Et ça, sans compter les morts." C’est au cœur d’une bien triste affaire de pollution, emblématique de certaines dérives industrielles et politico-économiques au détriment de la santé publique que plonge le saisissant The Sky Above Zenica [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] de la Danoise Nanna Frank Møller et du Bosnien Zlatko Pranjić, projeté au FIPADOC dans la compétition Impact après avoir été primé notamment au CPH.DOX, à Sarajevo, au Festival de Ji.hlava et à Trieste.
Tourné entre 2017 et 2024, le documentaire se déploie comme une enquête à la Erin Brockovich dans le sillage du tenace et sympathique Samir Lemes, diplômé à Los Angeles et professeur d’ingénierie mécanique à Zenica, une ville de Bosnie-Herzégovine située à 50 kilomètres de Sarajevo dans la vallée de la rivière Bosna. Membre de l’association Eko Forum, notre protagoniste, épaulé par un petit groupe d’activistes dévoués (dont Edita), vit dans l’atmosphère dantesque des fumées épaisses (par absence totale de filtrage et de purification) et de la puanteur issues de l’usine locale de cokéfaction du groupe ArcelorMittal qui tourne 24h/24. Un environnement qui charrie son lot de toxiques (notamment du benzène) empoisonnant à petit feu la population et faisant de la Bosnie le pays d’Europe enregistrant le plus de morts par la pollution de l’air. Mais encore faut-il prouver d’abord la responsabilité du géant sidérurgique, légalement censé mesurer lui-même la qualité de l’air autour de l’usine, mais n'ayant rien fait en ce sens depuis 2010 et l’obtention de son permis environnemental.
"Aidés" par un incident médiatisé (des boues rouges dans la Bosna), les David d’Eko Forum montent à l’assaut de Goliath via le Ministère de l’Environnement où l’embarras est évident face à la balance emploi-santé publique. Et abracadabra, une solution magique surgit : le projet de construction à 46M€ d’une centrale électrique qui utilisera les gaz de l’usine comme source d’énergie, en associant la ville de Zenica, des Finlandais et ArcelorMittal évidemment, le tout financé par la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) dans le cadre du Green City Action Plan. Les experts se succèdent, les réunions publiques s’enchainent et tous s’autocongratulent, sous le regard critique et perplexe de Samir. Car au fond, rien n’est résolu quant à la source du problème. Mais notre "héros" citoyen ne manque pas de ressources et d’obstination…
Passionnant et touchant, The Sky Above Zenica réussit à mêler le portait d’un microcosme malade (une ville, des habitants, des activistes, une usine) et des problématiques plus vastes (la pollution mortifère, le poids de l’économique et du politique, la langue de bois-bouclier des puissants face aux plaintes légitimes des citoyens). Dans le sillage de son personnage principal enquêteur et empêcheur de polluer tranquillement, le film démontre avec force combien engagement, persévérance et habilité sont nécessaires pour escalader des sommets à priori infranchissables. Mais il rappelle aussi que de nombreux morts et malades ont accompagné ce chemin dans l’adversité vers la vérité et la justice. Car comme le souligne une habitante de Zenica : "Nous demandons des choses complètement normales : que les lois soient respectées, que nos enfants ne soient pas empoisonnés."
The Sky Above Zenica a été produit par la société danoise Magic Hour Films et coproduit par la société bosnienne Realstage et par HBO Max. La société croate Split Screen pilote les ventes internationales.
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