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IFFR 2025 Compétition Tiger

Critique : Fiume o morte!

par 

- Igor Bezinović reconstitue dans son deuxième long-métrage un pan de l'histoire de sa ville natale et nous rappelle que le passé rôde toujours, prêt à rejaillir à n'importe quel moment

Critique : Fiume o morte!

Rijeka est aujourd'hui la troisième plus grande ville de Croatie. C'est une destination assez populaire et pourtant peu orthodoxe qui combine l'attrait du soleil et de la mer avec un héritage culturel alternatif et industriel unique. Cependant, même ses habitants les mieux informés oublient parfois qu'au XXe siècle, la ville a été rattachée à huit ou neuf pays différents. Certains de ces courts moments historiques sont des cas assez atypiques, même à l'aune de l'histoire mondiale.

Un de ces "gouvernements" est au centre du deuxième long-métrage d’Igor Bezinović, Fiume o morte! [+lire aussi :
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, qui vient de faire sa première dans le cadre de la compétition Tiger à l'IFFR. Avec ce film, le réalisateur, lui-même originaire de Rijeka, revient sur un terrain qu’il a déjà visité deux fois, dans le court-métrage An Encounter (2009) et dans son premier long, A Brief Excursion [+lire aussi :
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(2017), lui aussi présenté à Rotterdam, dans la section Bright Future.

Le titre se réfère au cri de bataille des soldats italiens "désespérés" menés par le poète et ancien combattant polémiqué Gabriele D’Annunzio, qui a pris le contrôle de la ville de Fiume (ancien nom de Rijeka) à un moment où les royaumes d’Italie et de Yougoslavie se la disputaient, après la Première Guerre mondiale. Il a régné sur Rijeka pendant 16 mois, entre la fin 1919 et le début de l'année 1921. Son règne a été assez éclectique voire ésotérique, et pétri de paradoxes, entre les libertés individuelles qu'il a instaurées et le fait qu’il a, en quelque sorte, servi d’inspiration à un autre "poète guerrier", Benito Mussolini, pour façonner le fascisme. Il va sans dire que le lieu a attiré beaucoup de personnages hauts en couleur des quatre coins du monde, mais principalement d’Italie, avant d’être formellement aboli par le traité de Rapallo de 1920, après quoi l’intervention des troupes régulières italiennes a permis l’établissement de Fiume comme un État libre, ce qui n’a pas duré très longtemps non plus, puisque les forces fascistes l’ont de nouveau annexé en 1924.

Bezinović se lance dans un parcours pour retracer dans le détail le règne de D'Annunzio sur la ville, à présent très largement oublié. Pour ce faire, il s’appuie sur de riches archives de plus de 10 000 photos et quelques films remontant à l’époque. Cependant, Fiume or morte! n’est pas une simple reconstitution dramatique d’une période historique, car le réalisateur fait le choix métacinématographique d'expliquer sa démarche artistique, particulièrement la sélection d’acteurs non professionnels pour jouer D'Annunzio (sept en tout, retenus pour différentes raisons, de leur ressemblance physique au personnage à la qualité de leur italien) et d’autres figures importantes (là encore selon leurs capacités spécifiques, allant de la pratique des arts martiaux, de l’escalade ou de la natation à leur maîtrise du dialecte "fiumano" local) pour rejouer certains des moments immortalisés sur les photographies. En outre, le réalisateur parvient à ouvrir un dialogue avec notre présent.

Il le fait à travers des choix artistiques intéressants, comme souligner certains écarts : les costumes conçus par Tajči Čekada et Manuela Paladin sont fidèles à l’époque, de même que les décors d'Antonio Spazzapan et Tizianna de Mario, mais les lieux ne peuvent pas être dépouillés de leurs traits contemporains. La même chose vaut pour le mélange d’accessoires historiques et contemporains, qui a parfois un effet humoristique. Fiume o morte!, filmé de manière évocatrice par Gregor Božič et bien soutenu par le montage fluide de Hrvoslava Brkušić, est un spécimen de cinéma habile qui nous rappelle que bien que les éléments qui constituent l'"héritage" d'une certaine époque ne soient pas toujours à la vue de tous, le passé, parfois sombre voire fou, n’est jamais trop loin.

Fiume o morte! est une coproduction entre la Croatie, l’Italie et la Slovénie qui a réuni les efforts de Restart, Videomante et Nosorogi.

(Traduit de l'anglais)

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