Critique : Morlaix
par Olivia Popp
- Dans son nouveau film, Jaime Rosales discourt sur le destin, l'amour et l'inévitabilité à travers un triangle amoureux résonnant de "et si... ?"

Les premières images, en 16/9, du nouveau film de Jaime Rosales, Morlaix [+lire aussi :
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Cependant, même ce parcours tout en nuances de gris ne dure pas longtemps. Dès que Gwen fait la connaissance du nouveau venu dans la ville, Jean-Luc (Samuel Kircher), un jeune homme à la longue chevelure blonde qui arrive de Paris, on passe dans un nouvel univers, en couleur, réduit au format 4/3. Le petit ami de Gwen, Thomas (Alexis Keruzore), est déstabilisé par la proximité immédiate entre Gwen et Jean-Luc, bien que ce dernier voie leurs interactions comme purement amicales. Thomas réagit avec un calme presque antinaturel ("Puis-je au moins te prendre une dernière fois dans mes bras ?), comme si les souvenirs qu'a Gwen du passé s'étaient avec le temps teintés de rose. Des photos en noir et blanc prises pendant un voyage en bateau et une escapade de camping avec les amis de Gwen et Jean-Luc rend de nouveau compte de la nature changeante de la mémoire : ce qui est rendu en une seule image n'est qu'un instantané extrait d'un tout plus vaste, souvent idéalisé.
Quand le groupe décide d’aller au cinéma de la ville, tout change. Tout comme dans l’ouverture du film de Rosales, on voit de nouveau à l'écran des images de Morlaix... puis quelque chose de plus. Les mondes ou réalités multiples que nous présente le cinéaste se mettent à se mêler au film que les adolescents regardent, mais pas nécessairement de manière simple et directe ou rationnelle, et pas non plus de manière mystique. Rosales sort le grand jeu à tous niveaux sur le plan technique pour composer un objet expérimental qui fait par moments l'effet d'être arbitraire, mais reflète autrement très efficacement le fait que l'univers de Gwen est constamment refaçonné, et son regard sur le monde réagencé. Cela ne correspond-il pas exactement aux mouvements d'un esprit adolescent qui grandit ?
Morlaix fait parfois un peu trop mis en scène et frise de temps en temps le récit à l'eau de rose, mais on se dit que cela s'inscrit dans le grand projet du réalisateur de nous faire penser de manière plus brechtienne. Rosales utilise l’architecture distinctive de la ville à son avantage, y compris dans les scènes charnières qui se passent sur le viaduc au-dessus du campement, au moment où Gwen est forcée de prendre une décision très importante. À travers ce choix, le réalisateur suggère qu'il n'est pas anodin d'arriver dans cette ville qui nous a piégés, pour le meilleur et pour le pire, dans un cycle beau, mais tragique, de ressouvenir et de nostalgie.
Quand Gwen, devenue adulte (Mélanie Thierry), revient à Morlaix pour retrouver la ville, le scénariste-réalisateur nous catapulte de nouveau dans le monde en noir et blanc qu’on avait vu plus tôt, comme pour conclure avec un dernier petit coup porté au tissu du réel et de la pensée linéaire. Morlaix nous arrache à notre tendance à l'intellectualisation binaire : l'important n'est pas le choix entre deux alternatives que fait Gwen sur le pont ce jour-là. Peut-être que la vie est mieux vécue à travers le monde des possibilités qui s'offrent à nous qu'en se forçant à n'en choisir qu'une.
Morlaix est un film franco-espagnol qui a réuni les efforts d'Iwaso Films et Fresdeval Films, en coproduction avec Les Productions Balthazar. Iwaso Films s'occupe aussi des ventes internationales du film.
(Traduit de l'anglais)
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