IFFR 2025 Compétition Big Screen
Critique : Bad Painter
par Olivia Popp
- Le peintre allemand Albert Oehlen livre son premier long-métrage en solo, un moqumentaire docufiction bizarre, parsemé d'incongrus moments de body horror

L’artiste allemand contemporain Albert Oehlen est sans doute surtout connu dans le monde pour ses "Bad Paintings" et pour avoir secoué le marché de l'art avec des œuvres délibérément subversives, nourries par une sorte d'aversion pour l'art élitiste. Le voilà qui se lance à présent dans le cinéma et livre un premier long-métrage en solo intitulé Bad Painter [+lire aussi :
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fiche film] qui est, de fait, une fictionnalisation légèrement satirique de sa vie. Le titre du film, sélectionné pour faire sa première mondiale dans le cadre de la compétition Big Screen de l'IFFR, renvoie aussi au fait qu'il a fait partie des "mauvais garçons" de la scène artistique allemande des années 1970 et 1980, à savoir ceux qui voulaient s'opposer au système.
Bad Painter, qui évolue joyeusement entre autodérision et complaisance, est un docufiction-documentaire satirique éparpillé sur la vie de tous les jours d’Oehlen en tant qu'artiste, le tout parsemé de fragments de body horror. Oehlen est délicieusement incarné par le célèbre acteur allemand Udo Kier, qui parvient à rendre la personnalité dédaigneuse et arrogante mais aussi totalement décalée du peintre encensé avec humour, créant ainsi un nouveau personnage extrêmement divertissant. Ceux qui connaissent mal Oehlen pourraient facilemement se laisser piéger et croire que c’est vraiment le peintre qu’on voit là à l’écran. De fait, l’interprétation de Kier devient l'élément du film qui le porte entièrement, du début jusqu'au dénouement, alors que toutes ses autres composantes s'avèrent être bien moins remarquables.
On rencontre Oehlen alors qu'il peint une toile, tandis que ses pensées intérieures sont racontées en voix off par l’artiste visuel et musicien de Sonic Youth Kim Gordon, qui apparaît par ailleurs dans le rôle d'un journaliste qui rencontre Oehlen plusieurs fois pour des interviews. Ces choix de la part de l'auteur désorientent un peu et n'apportent pas vraiment de substance à l'ensemble, en plus de faire l'effet d'être assez déconnectés du reste du film. De même, Oehlen introduit une technique d’interview façon "tête parlante" puis ne l'emploie jamais plus, assemblant comme par collage différents styles qui ne fonctionnent pas bien ensemble et ne forment pas un tout.
Le récit (ou plutôt l'absence de récit), d'abord plus réaliste quoiqu'un peu barjo, devient de plus en plus chaotique et progresse vers l'absurdité jusqu'à sortir complètement des rails dans son dernier tiers. Bien que le film ne dure que 80 minutes, comme il ne trouve jamais vraiment son ancrage, il paraît beaucoup plus long qu’il ne l'est vraiment. Au fur et à mesure que le film avance, Oehlen rencontre des personnalités importantes de différents types, notamment l'ancien acteur devenu restaurateur Michael Chow, qu'on voit dans sa galerie d'art, dans une séquence qui compte peut-être parmi les plus drôles du film, car leurs deux egos énormes se heurtent l'un à l’autre. Si cette scène est drôle, la sélection des intervenants piochés dans la vie d'Oehlen lui-même fait hasardeuse : tous semblent avoir été inclus dans le film sans intention précise.
Le spectateur pourrait se sentir aliéné par les scènes plus surréalistes, qui donnent l'impression d'avoir toutes été taillées dans des tissus stylistiques différents. Des événements de plus en plus étranges se mettent à se produire qui nous distraient du parcours que faisait le film dans sa première moitié, nous amenant à questionner qui est vraiment Oehlen comme sujet de film tant il manque de cohérence. Ceci pourrait, bien sûr, être une tentative de critique du culte de la personnalité de la part de l'artiste-réalisateur, mais quoiqu'il en soit, Bad Painter a vraiment du mal à produire l’effet voulu.
Bad Painter est une coproduction entre l’Allemagne et les États-Unis qui a réuni les efforts de Wendy Gondeln Production et Bad Painter, Inc. (qui s'occupe aussi des ventes internationales du film).
(Traduit de l'anglais)
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