email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

BERLINALE 2025 Perspectives

Critique : Come la notte

par 

- BERLINALE 2025 : Liryc Dela Cruz joue des ombres de l’exil et de la mémoire pour un premier long métrage personnel et maîtrisé sur les retrouvailles en Italie d’une fratrie philippine

Critique : Come la notte
Jenny Llanto Caringal, Tess Magallanes et Benjamin Vasquez Barcellano Jr dans Come la notte

Réalisateur, scénariste, directeur de la photographie, monteur, décorateur et producteur : le moins que l’on puisse dire, c’est que le Philippin installé en Italie Liryc Dela Cruz s’est totalement investi dans son premier long métrage, faisant la démonstration d’une vaste palette de talents avec Come la notte, présenté dans la section Perspectives de la 75e Berlinale. De surcroît, le jeune cinéaste (33 ans) a également choisi de puiser dans une histoire très proche de ses racines et de son statut d’exilé pour proposer un film en noir et blanc envoûtant, nourri des fantômes du passé dans une atmosphère presque intemporelle où le karma d’un trio familial se dévoile peu à peu.

Pour ceux qui ne le savent pas, l’immigration philippine en Italie pour occuper des postes d’employés de maison remonte à des décennies, (bien avant l’arrivée des Européens de l’Est) et la communauté philippine de Rome (souvent fervente catholique) avait par exemple l’habitude de se réunir le dimanche, autour du lac du quartier de l’EUR, pour entretenir la mémoire de leur terre natale, partager des denrées typiques de leurs îles et évoquer leur présent au service de la bourgeoisie locale.

C’est dans cet esprit et néanmoins loin de la capitale italienne que se déroule Come la notte dont le cadre est une énorme bâtisse entourée d’un immense parc dont a hérité, à sa plus grande surprise, Lila (Tess Magallanes) après plus de 35 ans auprès de Mme Patricia, sa patronne italienne. "On était devenues comme sœurs, comme une famille" explique la sexagénaire, qui vit seule dans la maison, à sa soeur Rosa (Jenny Llanto Caringal) et son frère Manny (Benjamin Vasquez Barcellano Jr) venus depuis Rome lui rendre visite pour la première fois depuis des années. "Grande sœur, on est aussi ta famille" lui rappelle d’ailleurs Rosa alors que Manny frémit sous la stupeur de la chance de cet héritage et de l’incompréhension du refus de Lila de vendre pour pouvoir rentrer enfin aux Philippines.

Très progressivement, au fil des promenades enjouées dans le jardin, des déjeuners sur l’herbe de l’automne et des thés à la cuisine, la visite familiale se métamorphose en redécouverte des uns et des autres. Car la porte des souvenirs de souffrance et de tristesse de leur jeunesse à Mansalay, des secrets ("tu n’imagines pas ce que j’ai traversé"), des regrets et des rancoeurs ("depuis qu’on est petit, elle décide tout pour nous", "vous m’avez détruit en m’amenant ici"), est ouverte. Et si "c’est normal, les conflits entre frères et sœurs", nul ne sait ce qui peut vraiment surgir de l’obscurité…

Composé d’une trentaine de très beaux plans fixes (jeux sophistiqués et élégants sur la profondeur de champ, sur les ombres et les lumières), le film façonne patiemment (une qualité que doit aussi partager le spectateur) un touchant miroir existentialiste sur la cruauté corrosive d’un exil économique au long cours aux parfums d’esclavage moderne. Dans une ambiance de tombeau jouant des contrastes, entre le confort luxueux et paisible des lieux et une mystérieuse tension sous-jacente, entre le matérialisme (la nourriture, l’héritage, la santé) et le mysticisme (la foi chrétienne, les fantômes), Liryc Dela Cruz met en scène une histoire à la fois simple (la constellation familiale) et assez inhabituelle (les Philippins en Italie) qui, au-delà de sa très solide maîtrise formelle, réserve même un spectaculaire coup de théâtre final.

Come la notte a été produit par la société italienne Pelircula et coproduit par Ozono, Il Mio Filippino Collective et Reckless Natarjan Pictures. Alpha Violet pilote les ventes internationales.

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy