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BERLINALE 2025 Panorama

Critique : Sorda

par 

- BERLINALE 2025 : Eva Libertad livre un récit émotionnellement complexe qui détaille comment la perception du monde d'une femme sourde change quand elle met au monde une petite fille

Critique : Sorda
Álvaro Cervantes et Miriam Garlo dans Sorda

Sorda [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Eva Libertad
fiche film
]
d'Eva Libertad s'ouvre délibérément sur un générique qui défile sans le son et dans ce moment, on est soudain frappé par l’absence prolongée d’un élément sensoriel de notre monde qu'on tient pour acquis. La scénariste-réalisatrice et dramaturge espagnole limitera à ce passage l'expérience didactique dispensée au public. Son premier long-métrage en solo, qui vient de faire sa première mondiale dans la section Panorama du 75e Festival de Berlin, évolue gracieusement bien au-delà de la simple tentative de transmettre les sensations de la surdité à une audience entendante. Au lieu de cela, il scrute de l'intérieur les dilemmes au sein d'un couple où chacun des deux a un lien différent avec leur nouveau-né et avec le monde.

Le couple mixte formé par  Angela (Miriam Garlo), atteinte de surdité, et Héctor (Álvaro Cervantes), entendant, attend avec impatience un bébé. Libertad consacre les trente premières minutes de son film à nous présenter l'univers de ce couple aimant, y compris le vaste groupe d’amis, pour la plupart sourds, qui les soutient chaleureusement, et les parents entendants d'Angela, qui lui demandent régulièrement de porter des aides auditives, apparemment sans prendre en compte la perspective de leur fille adulte. Quand Angela met au monde une fille, des doutes se mettent à s'insinuer dans son esprit quant à sa capacité à établir un lien avec son enfant et le monde qui l’entoure. À côté de ça, le couple doit aussi apprendre ensemble à gérer leur relation, changée par l'ajout d’une nouvelle dimension complexe.

Pendant la quasi totalité du film, Libertad refuse de balader le public dans une expérience auditive de la surdité, par exemple à travers un sound design tel que celui (excellent, certes, mais très spécifique) qu'on avait dans The Sound of Metal, par exemple. Son film se concentre plutôt sur la surdité comme un tout, et cette fine nuance devient de plus en plus cruciale au fil du long-métrage. En effet, le conflit que vit le couple central pourrait, de maintes manières, être extrapolé à différentes situations de déconnexion entre des partenaires, même quand les préoccupations d'Angela se portent sur l’effacement que peut causer son handicap. Ceci étant dit, Sorda offre quelques aperçus spécifiques qu'on ressent viscéralement selon la perspective d'Angela, comme le moment où, en plein accouchement, elle arrache, afin de lire sur ses lèvres, le masque chirurgical que porte la gynécologue, jusqu'ici joyeusement inconsciente du fait que sa patiente ne pouvait pas l’entendre. Dans ce genre de situations en particulier, la cheffe opératrice Gina Ferrer García suit Angela de près, caméra à l’épaule, mais jamais comme pour l'interroger : elle laisse le spectateur entrer dans son monde, mais sans le mettre directement à sa place.

Garlo, qui jouait également le personnage principal du court-métrage coréalisé par Libertad dont ce long-métrage reprend le titre (un travail qui a été nominé aux Goya en 2023), livre une interprétation profondément nuancée dans ce rôle qui est au centre de l’attention de la scénariste-réalisatrice. Entre la scène d'accouchement, très agitée, et la deuxième moitié du film, où Angela manque de plus en plus intensément de confiance en elle dans des contextes publics, l’actrice a l'occasion de se distinguer dans toute une gamme de situations. C'est toutefois dans les moments plus calmes que la réalisatrice touche le plus efficacement le public, ceux où l’état émotionnel d'Angela peut être ressenti à travers la peine qu'on lit dans les expressions de Garlo, ainsi que ceux où transparaît la liberté qu'elle sent quand elle peut être elle-même dans une société qui préfère souvent se conduire comme si elle était un cas à part, ou invisible, au lieu d'être tout simplement une mère, une femme et un être humain.

Sorda a été produit par les sociétés espagnoles Distinto Films, Nexus CreaFilms et A Contracorriente Films. Les ventes internationales du film sont assurées par la société madrilène Latido Films.

(Traduit de l'anglais)


Galerie de photo 19/02/2025 : Berlinale 2025 - Sorda

7 photos disponibles ici. Faire glisser vers la gauche ou la droite pour toutes les voir.

Eva Libertad
© 2024 Dario Caruso for Cineuropa - dario-caruso.fr, @studio.photo.dar, Dario Caruso

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