17/02/2025 - BERLINALE 2025 : Ce premier long par Tatiana Fuentes Sadowski est un film-essai qui utilise intelligemment les archives pour présenter une vision alternative de la période post-coloniale au Pérou

La memoria de las mariposas [+lire aussi :
interview : Tatiana Fuentes Sadowski
fiche film] de Tatiana Fuentes Sadowski, présenté dans la section Forum du 75e Festival de Berlin, se donne pour mission de réfléchir au douloureux passé colonial de l’Amazonie, en particulier de la zone de la rivière Putumayo, où les arbres à caoutchouc abondent, une zone qui a été le théâtre d’un génocide perpétré à l’encontre de des populations indigènes, utilisés comme esclaves par le puissant marchand Julio Cesar Arana. Le film se compose d'images en Super 8 retravaillées et d'images issues de différentes archives, notamment celles du British Film Institute, mais aussi de films tournés pour favoriser l'exploitation, comme Amazonas, o maior rio do mundo du Portugais Silvino Santos (1922). Ce dernier travail, qu'on tenait pour disparu, a récemment été retrouvé aux archives Národní filmový archiv de Prague. Une des choses que La memoria de las mariposas se propose de faire est justement de révéler, grâce à ces images, qu'elles faisaient elles-mêmes partie du système d’exploitation des matières premières qui a donné lieu, au début du XXe siècle, à la fièvre du caoutchouc au Brésil et au Pérou.

Tatiana Fuentes Sadowski part en particulier des quelques photographies qu'on a d'Omarino et Aredomi, deux indigènes qui ont été amenés en Europe par l’avocat Roger Casement pour dénoncer l’esclavage auquel a été assujettie la population locale. Ce voyage aller-retour devient la piste principale d’un film qui, grâce au montage, se ramifie dans de nombreuses directions, touchant les nerfs à vif d’un passé colonial qu'un vaste éventail de films (avant tout provenant d’Amérique du Sud, mais pas seulement) tâchent actuellement de raconter en adoptant différents points de vue tous opposés au discours hégémonique. De fait, même les instances humanitaires de la tranche la plus progressiste de la bourgeoisie européenne, ici incarnée par le révolutionnaire irlandais Casement, apparaissent comme un des mille visages du colonialisme. En même temps, la réalisatrice, qui assure aussi la narration en voix off, croise l'histoire d'Omarino et Aredomi avec des éléments personnels, car il se trouve qu'elle est la mère d'un descendant d’une des familles qui a le plus profité du boom du caoutchouc. Cette complexité dans les visions présentées et les questions posées, nées du désir d’analyser et de comprendre ce passé extrêmement lourd, se mélange avec l'héritage culturel des survivants au génocide et à leur manière de se rapporter à l’histoire.

Les expérimentations visuelles de Fuentes Sadowski offrent au spectateur une autre forme de pensée, complexe, intuitive. Son film tend à donner un espace à une multitude de paroles qui sont toutes le contrechamp de l’histoire officielle, ce qu'elle a laissé de côté. Que cette opération ait été réalisée en utilisant des images d’archives tournées dans un but à l'opposé du sien, à savoir celui de cataloguer une population et de l’opprimer, démontre que le langage cinématographique a encore la capacité de subvertir le discours dominant et de se poser en instrument de connaissance et de lutte.

La memoria de las mariposas a été produit par Miti Film (Pérou) avec Perpetua Cine (Pérou) et Oblaum Filmes (Portugal).

(Traduit de l'italien)

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Tatiana Fuentes Sadowski
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