email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

BERLINALE 2025 Panorama

Critique : Letters from Wolf Street

par 

- BERLINALE 2025 : Arjun Talwar parle de sa relation toxique avec la Pologne dans un film drôle, triste et universel

Critique : Letters from Wolf Street

C’est un drôle de truc, de vivre dans un pays étranger. Il y a des endroits dont tout le monde rêve : personne ne va jamais trouver étrange de partir s'installer en Italie, par exemple, pas après Sous le soleil de Toscane, ou à Paris après avoir vu Lily Collins savourer un kir royal scandaleusement tôt dans l’après-midi. Personne ne va jamais demander : "Mais pourquoi ?". Le cas d'Arjun Talwar est différent, car de Delhi, il est allé en Pologne. "Pourquoi sommes-nous là ? Merde", dit son collaborateur sur Letters from Wolf Street [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
, Mo Tan. La question est à la fois hilarante et vraiment triste. Ils n'ont pas la réponse, et les Polonais non plus.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
sunnysideofthedoc_2025_right_May

Ce qui suit, dans le film, est une enquête : sur les choix personnels de Talwar, sur la mort tragique de son ami, sur la Pologne en général. La voisine d’à côté le saluait toujours de la main, mais ensuite, dans la rue, elle faisait comme s'ils ne se connaissaient pas. Dans ce documentaire, projeté à Berlin dans la section Panorama, il fait de son mieux pour ne pas se trop se plaindre, mais on ne rend vite compte qu’il se sent seul à Varsovie, dans la "rue du loup" du titre. Ce qui est intéressant, c'est qu'il n’est pas le seul.

On a en fait affaire à un film sur le deuil, ou sur le sentiment de culpabilité du survivant. Talwar est venu avec un ami, espérant quelque chose de mieux ("On avait l'impression d'être les premiers explorateurs", se souvient-il), mais cet avenir glorieux n’est jamais venu, car son ami est mort. À présent, résigné, Talwar essaie de comprendre si ça valait la peine. Seulement, il se trouve que la Pologne semble affectée par exactement des mêmes symptômes : les gens parlent de solitude tout le temps, disent qu'à chaque fois que choses semblent aller mieux, "Poutine ou Hitler viennent tout gâcher". Talwar prétend que la Pologne est un "mystère" pour lui, mais à vrai dire, il la comprend beaucoup mieux qu’il ne le croit. C’est même peut-être de là que vient sa frustration : si on comprend ce qu'il vit, si on sait combien c'est dur, d’être seul et rejeté, pourquoi ne pas se montrer plus compréhensif ?

Talwar liste les crimes habituels, communs en Pologne : le racisme (on l'appelle continuellement "Michael Jackson"), l’intolérance, et la fameuse Marche de l'indépendance de novembre si prisées des groupes d'extrême droite. "Nous ne 'tolérons' pas, nous aimons les immigrés. S'ils le méritent", dit quelqu’un dans le film, et le réalisateur n'a probablement même pas dû attendre très longtemps avant d'enregistrer ces mots. D'aucuns mentionnent le film polonais de 1934 Black Pearl, avec Reri, ou la chanson de variété “Makumba”, du groupe Big Cyc (ce qui signifie "gros sein"). Les années 1990 furent étranges : un jeune Africain voulait étudier en Pologne, mais "les skinheads ne veulent pas le laisser vivre". Donc il y a ça, et même pire, et c'est indéfendable. Et pourtant, Talwar continue d'aimer ce pays.

Letters from Wolf Street est de ces documentaires qui essaient de dire quelque chose de sérieux tout en restant gentil, en partant de conversations avec des inconnus et (avant tout) d'une absence de jugement. Paweł Łoziński a fait ça brillamment en 2021 dans The Balcony Movie [+lire aussi :
critique
interview : Paweł Łoziński
fiche film
]
, où il entamait des conversations, depuis son balcon, avec les gens qui passaient dans la rue. La comparaison peut cependant sembler injuste, car d'un, Łoziński est polonais, de deux, si les deux films sont porteurs d'optimisme, Letters... tend parfois à se disperser. Au bout d'un moment, on ne parle plus seulement d'une rue ou d'une ville : le spectre s'élargit, et de fait, pour ne rien vous cacher, le film se perd. Après, il faut reconnaître que c'est exactement ce qui se passe pour Talwar, incapable de mettre fin à sa relation toxique avec ce pays.

Pour l’auteure de ces lignes, c’est une expérience intéressante de regarder ce film en tant que Polonaise vivant à l’étranger, dans un pays où les gens sont plus que partagés par rapport aux étrangers, ces temps-ci. "En tant qu’étranger à Londres, j’aime bien le fait qu’on y voie autant d’autres étrangers", a écrit David Sedaris. Avant de se retrouver dans la situation d'étranger, on est sans doute étranger au sentiment de solitude.

Letters from Wolf Street a été produit par Uni-Solo Studio (Pologne) en coproduction avec inselfilm production (Allemagne).

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy