Critique : My Uncle Jens
par Olivia Popp
- Brwa Vahabpour propose une lecture créative du discours sur les immigrés et les demandeurs d'asile à travers le regard d'un jeune Norvégien qui reçoit une visite surprise de son oncle kurde

Imaginez que la sonnerie de la porte vous réveille en pleine nuit, et que d’un coup, un type entre chez vous comme si de rien n’était que vous ne reconnaissez pas, mais qui prétend être votre oncle. Il fait comme chez lui, s'installe à la cuisine, et se demande brusquement à voix haute pourquoi vous ne lui avez pas encore servi du thé – ce n'est pas un accueil très chaleureux, entre gens de la même famille ! Et il y a un autre mystère : vous vivez à Oslo… et il vient apparemment de loin : de la partie iranienne du Kurdistan. Le scénariste et réalisateur Brwa Vahabpour nous fait entrer dans l’univers de son premier long-métrage, My Uncle Jens [+lire aussi :
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fiche film], à travers cette scène d’ouverture brillante qui établit immédiatement le ton du reste. Le film a fait sa première mondiale au festival SXSW, dans la compétition Longs-métrages de fiction.
D’emblée, on est mis en condition pour observer les dynamiques qui vont se déployer entre Akam (Peiman Azizpour), un jeune instituteur norvégien d'origine kurde, et son oncle invasif et critique Khdr (Hamza Agoshi) — qui invite cependant les colocataires décontenancés d'Akam, Pernille (Theresa Frostad Eggesbø) et Stian (Magnus Lysbakken), à l'appeler "Jens", parce que c'est plus facile. En jouant de ces personnages, Vahabpour pose vite un ton tranquillement humoristique tout en laissant prévaloir le caractère dramatique du film, dramatique avec quelques éléments comiques, sans en faire une comédie dramatique à proprement parler. Beaucoup de scènes sont structurées comme des situations intrinsèquement cocasses (ce qui est souligné, dans quelques cas, par des coupes franches de la part des monteurs Bryjar Lien Aune et Cǎtǎlin Cristuţiu), bien que le film ne joue pas toujours la carte du rire.
Pour essayer de comprendre l’apparition soudaine de Khdr dans sa vie, Akam se met à voir Elina (Sarah Francesca Brænne), une femme qui travaille au Directoire de l’immigration de Norvège (et avec laquelle il noue des liens romantiques), sous prétexte d’avoir besoin de son aide pour écrire une nouvelle. De temps en temps, quoique très peu, le film semble trop ouvertement en faveur des autorités publiques, ce qui semble peu logique par rapport aux caractères d'Akam comme de Khdr, qui évitent les policiers tout en essayant de ne pas les critiquer. Cela dit, on se voit aussi offrir plusieurs moments facétieusement ironiques qui exploitent ces micro-situations gênantes.
Le cœur émotionnel du film est porté par l'interprétation d'Agoshi, qui trouve un point d'équilibre délectable entre une candeur effrontée et une tendance exécrable à être trop exigeant. Une scène très amusante en atteste : il arrive à persuader un type de vendre un vieux lecteur DVD pour 350 couronnes norvégiennes (environ 30 €) de moins en faisant le brave innocent, devant un Akam mortifié. Les spectateurs des quatre coins du monde devraient reconnaître en ce personnage une vieille tante, un oncle, ou autre parent un peu condescendant qui ne peuvent pas s'empêcher de vouloir se faire passer pour des gentils – c'est vache, mais on se rapporte très bien à cela.
Le réalisateur parsème le film de conversations sur le père d'Akam, ancien peshmerga (combattant kurde), ce qui mène à d'autres conversations plus vastes sur la persécution et la résistance, mais cette partie du récit est un peu mise de côté ensuite. De même, certains fils narratifs sont un peu minces, comme l'histoire de Marko (Marko Lazic), l'élève immigré de deuxième génération d’Akam, qui a du mal à l’école. Là où My Uncle Jens est réussi, c’est qu’il combine très bien plusieurs éléments de thriller (notamment une musique chargée de tension évoquant un bruit d'horloge composée par KASTEL) tout en déguisant tout cela en film léger sur un choc des cultures, sans pour autant tomber dans les écueils des récits qui présentent les immigrés comme des outsiders mal intégrés dans une société occidentale très structurée, ni exploiter jusqu'à la trame des commentaires éculés sur l'odeur prononcée de leurs repas du midi.
My Uncle Jens est une coproduction entre la Norvège et la Roumanie qui a réuni les efforts de True Content Production AS (Oslo) et Tangaj Production (Bucarest). Les ventes internationales du film sont gérées par Intramovies.
(Traduit de l'anglais)
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