Critique : UNRWA, 75 ans d'une histoire provisoire
par Giorgia Del Don
- Le film de Nicolas Wadimoff, réalisé avec Lyana Saleh, raconte l'histoire méconnue de cette agence des Nations Unies, prise en otage par des points de vue opposés qui n'arrivent pas à communiquer

UNRWA, 75 ans d'une histoire provisoire de Lyana Saleh et Nicolas Wadimoff, projeté en première mondiale au FIFDH de Genève dans le cadre de la Compétition Focus, raconte l’histoire complexe de l'UNRWA, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, une agence importante qui risque de disparaître. En tant qu'unique organisation humanitaire créée pour et dédiée à des réfugiés en particulier, l’UNRWA fait parler d’elle depuis sa création, en 1949. Grâce au système éducatif gratuit et de qualité qu'elle a mis en place, pour certains, elle représente le cœur de la culture et de l'identité palestinienne. Pour d’autres, elle sert à perpétuer une idée: celle d’un futur retour des réfugiés dans leur pays d'origine, idée qui donne lieu à des sentiments belliqueux et révoltés. Le film, qui donne la parole tant à des représentants du côté palestinien qu'à des Israéliens, raconte, de manière précise et riche, l'histoire d’une agence forcée d'évoluer avec énormément de prudence, comme un funambule sur un fil extrêmement fin. Des images d’archives accompagnent le spectateur pour lui rappeler les origines et les implications du conflit complexe et déchirant au cœur de la situation.
L'’UNRWA, née comme une agence apolitique, se retrouve aujourd’hui au centre d'un débat dont les implications sont tous sauf apolitiques. C’est justement ce paradoxe, cette complexité, la nature bicéphale de l’agence, très différente selon le point de vue dont on l'envisage, que le documentaire explore. Dans le moment même où la survie de cette agence, devenue malgré elle le symbole d’une guerre sans fin, est en danger, il est important de comprendre les raisons qui rendent son existence capitale. Gruyère complexe et fascinant de besoins humanitaires et de stratégies politiques, l’UNRWA se transforme peu à peu, pour le peuple palestinien, en seule lueur au bout d’un tunnel de plus en plus sombre.
Comme le met en évidence le film, le contexte dans lequel l’agence est née, à savoir celui de la fin de la Seconde Guerre mondiale, en a certainement influencé la nature. Pourquoi les Nations Unies ont-elles senti le besoin de créer une entité spécifiquement dédiée aux réfugiés palestiniens ? Voilà la question que beaucoup de gens, palestiniens et israéliens, se sont posée. Si dans un premier temps, comme l’indique le film, Israël comme la Palestine ont accueilli favorablement sa naissance (le premier de ces pays parce qu'il s'est senti soulagé du devoir de s'occuper des Palestiniens expulsés ; le second parce que les déplacés avaient besoin de moyens, alimentaires mais aussi éducatifs, pour survivre), les deux pays sont très vite devenus plus soupçonneux, une aigreur croissante des points de vue qui nous a amenés à la situation actuelle.
Si, pour les Palestiniens, représentés dans le film par Elias Sanbar, historien et ancien ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO, l’agence et ses institutions scolaires ont contribué à la survie d’une culture et de traditions qui risquaient de disparaître, écrasées par des intérêts plus grands qu'eux, pour les Israéliens, dont la porte-parole est ici Einat Wilf, écrivaine anciemment membre de la Knesset, l’UNRWA a contribué à la radicalisation politique de beaucoup de réfugiés et à perpétuer, en maintenant l'illusion d'un retour sur leur sol natal, le "problème palestinien". Sans rien occulter, le film expose ces points de vue radicalement opposés. Ce qui est clair, c’est qu'une agence dont l'existence avait été conçue comme provisoire et renouvelable tous les trois ans, a hélas acquis un statut preque définitif. Le film souligne très bien la position délicate de l’UNRWA, prise en otage par des demandes divergentes auxquelles elle doit répondre, sans oublier de se battre pour une survie dont dépendent une quantité vertigineuse d'individus. Ce film, qui ose aborder un sujet des plus délicats, donne envie de continuer de croire qu'un dialogue constructif est encore possible.
UNRWA, 75 ans d'une histoire provisoire a été produit par Akka Films et la RTS Radio télévision suisse romande.
(Traduit de l'italien)
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