SÉRIES MANIA 2025 Séries Mania Forum
Isabelle Degeorges, lauréate du 5e Woman in Series Award
par Fabien Lemercier
- La présidente de Gaumont Télévision France a livré son point de vue sur son métier de productrice de séries, de Lupin à Becoming Karl Lagerfeld, en passant par The Deal

Distinguée à Séries Mania Forum par le Woman in Series Award qui récompense chaque année une femme remarquable de l'industrie audiovisuelle pour sa vision et son leadership, Isabelle Degeorges, qui dirige Gaumont Télévision France depuis 2013 et qui compte à son actif des succès mondiaux comme Lupin et Becoming Karl Lagerfeld, a échangé à Lille avec la journaliste Marta Bałaga. Une très bonne occasion de plonger dans les coulisses de la fabrication des séries et de bénéficier d’un regard éclairé sur l’évolution et la conjoncture de l’industrie.
Questionnée sur ce qui lui plait le plus dans son métier de productrice, Isabelle Degeorges a souligné un côté multi-facettes qui n’existe pas dans beaucoup de professions : "chez Gaumont, nous racontons des histoires très différentes et c’est passionnant de créer à chaque fois de nouveaux univers, d’autant plus que c’est un travail d’équipe car on interagit avec les talents artistiques, les techniciens, les diffuseurs, et avec l’ambition de produire des séries haut de gamme, donc à un niveau de budget très important." Une diversité qui est aussi à l’œuvre dans l’approche ouverte et flexible nécessaire chaque projet, ce que la productrice a illustré en mettant en avant deux exemples très différents. "Pour Becoming Karl Lagerfeld, il était important d’avoir un personnage que le public pouvait aimer car le vrai Karl Lagerfeld était insondable, comme derrière un masque. Nous nous sommes donc inspirés de son humanité qu’avait mise en avant Raphaëlle Bacqué dans son livre Kaiser Karl et nous avons donc recréé le personnage. Nous avons mis aussi beaucoup de temps avant de choisir la période de l’intrigue avant de nous fixer sur les années 70 quand il n’était personne et essayait simplement de devenir quelqu’un (…). Pour Lupin, cela a été différent parce que nous voulions que ce soit une série drôle et car nous avions décidé de travailler avec un scénariste anglais pour que la série soit universelle. Cela m’a appris une leçon car beaucoup de scènes qu’il écrivait était très amusantes mais pour mon esprit cartésien, elles ne fonctionnaient pas, elles n’étaient pas crédibles, comme l’évasion de Lupin dans l’épisode 2 de la première saison. Mais George Kay, le scénariste m’a dit : "on s’en moque, c’est divertissant, c’est ce que l’on cherche". En France, quand on écrit une série, on veut que tout ait un sens et parfois on est ennuyeux parce que ce n’est pas divertissant (…). Dans mon métier, on doit savoir écouter. Quelquefois, il est évident que l’autre a raison, mais d’autres fois, ce n’est pas le cas. Il n’est pas toujours facile de savoir quelle est la bonne direction pour être aligné avec que l’on veut raconter. C’est pour cela que c’est un travail d’équipe car il faut discuter et se mettre d’accord ensemble. Ce n’est pas toujours simple et parfois, c’est le producteur qui a la décision finale, ou le réalisateur, ou le scénariste, ou le diffuseur. Et éventuellement, il y a du conflit."
Interrogée sur sa vision de l’évolution de l’industrie de la série en France, Isabelle Degeorges a livré une analyse pleine d’acuité : "je travaille dans cette industrie depuis 25 ans, mais les dix premières années, ce n’était pas aussi exigeant que maintenant. À l’époque, on travaillait seulement pour le marché français et nous avions tous beaucoup de progrès à faire, que ce soit en production, en réalisation, en écriture. Depuis une grosse dizaine d’années, l’environnement est devenu très global et nous avons beaucoup progressé, mais maintenant nous devons faire face, comme dans tous les pays, à un autre défi : il y a moins d’argent qu’il y a cinq ans. Donc nous devons trouver des solutions, dans l’écriture et dans notre façon de travailler, pour créer de séries ambitieuses avec un financement moindre. En même temps, tout est plus coûteux, donc c’est très complexe."
À propos de son actualité, la productrice a évoqué The Deal [+lire aussi :
critique
fiche série], en compétition cette année à Séries Mania : "c’est l’une de nos missions de raconter des histoires qui résonnent avec le monde dans lequel nous vivons. C’est une série sur les négociations en 2015 entre les États-Unis et l’Iran sur la question du nucléaire, un thriller diplomatique. Des personnages de multiples nationalités sont coincés dans un hôtel et ils doivent trouver une solution. Un ingrédient majeur, c’est que tous des personnages sont très forts et que l’on comprend très bien leurs motivations respectives. Cette série est davantage portée par eux que par l’intrigue : ce sont eux qui maintiennent l’attention du spectateur au-delà de la résolution des négociations en cours. En tant que productrice, je pense que c’est important d’avoir des séries amusantes et d’autres qui font pleurer, mais il faut également expliquer notre monde et cette série résonne énormément avec tout ce qui se passe aujourd’hui."
"Je produis aussi actuellement pour Apple TV+ une série d’auteur : L’ombre des forêts de Cédric Anger qui est un cinéaste et qui a écrit le scénario. Benoît Magimel et Mélanie Laurent sont au casting. C’est une série sur la paranoïa avec un groupe de quatre amis qui partent chasser en forêt. On leur tire dessus, l’un d’eux réplique et tue quelqu’un. Que faire ensuite ? Ils sont humains, ils prennent une mauvaise décision et leur vie va devenir un cauchemar. Selon moi, ce qui est intéressant, c’est d’être avec eux et de se demander ce qu’on aurait fait à leur place. C’est très difficile de se projeter dans une telle situation qu’on n’a jamais vécue, mais c’est passionnant de ressentir leurs émotions et leurs peurs. Et c’est différent de travailler avec un auteur comme Cédric Anger car c’est son histoire, et non l’une de nos idées, celle d’un scénariste ou l’adaptation d’un livre : il sait exactement ce qu’il veut. Et comme il vient du cinéma, nous connaissons ses films, donc nous savons ce qu’il aime faire et quel genre de série ce sera, et il faut respecter ça, sinon on ne travaillerait pas avec lui."
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