FILMS / CRITIQUES Espagne / Pays-Bas
Critique : Muy lejos (Molt lluny)
par Alfonso Rivera
- Gerard Oms puise dans sa propre expérience d'émigré et livre un premier long-métrage comme réalisateur où le héros, désorienté, cherche à se fuir lui-même sans y parvenir

"On ne peut pas fuir qui on est" : c'est ce que dit un personnage secondaire de Muy lejos (Molt lluny) [+lire aussi :
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fiche film] au principal, Sergio (interprété par Mario Casas), synthétisant bien le thème central du film. Il s'agit du premier long-métrage comme réalisateur de Gerard Oms, qui a été coach d’acteurs et travaillé notamment avec Milena Smith, Bárbara Lennie et Casas lui-même, lauréat de la Biznaga d’argent de la meilleure interprétation masculine au Festival de Malaga pour ce travail, également primé par le jury de la critique au même événement (lire l'article), qui arrive ce vendredi 11 avril dans les salles espagnoles, distribué par BTeam Pictures.
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fiche film] joue ici un trentenaire qui assiste, avec son frère et ses copains, à une partie de football du RCD Espanyol à Utrecht. Là, en plein stade, il se sent soudain mal, pris d'une angoisse qui ne va faire que s’amplifier plus tard, la nuit. Le lendemain, sans trop y réfléchir, il imagine un stratagème pour ne pas retourner dans son pays, par besoin de fuir sa vie d’avant, de ce qu'on suppose qu'elle est et qu'elle est censée devenir. Ainsi, dans un lieu nouveau et peu accueillant, il va devoir se réinventer (et renaître, comme le symbolise l'image où il se penche sur le monde depuis la fenêtre étroite de sa mansarde), avec les difficultés que suppose le fait de devenir soudain un immigré qui ne parle même pas la langue de son nouveau pays.
Oms, qui a mis dans ce film beaucoup d'éléments de sa vie personnelle, nous fait accompagner Sergio dans sa lutte continue contre les éléments, la masculinité toxique, la crise économique de la première décennie de ce siècle et ses émotions les plus intimes. C’est un personnage discrètement éreinté par une société qui exige continuellement qu’il se comporte de manière pratique et rigide, pour correspondre au troupeau hétéronormé que représente ce sport roi, débordant de testostérone.
Sergio veut jouer dans une autre ligue, mais il n'ose pas. C'est pourquoi, dans un lieu où personne ne le connaît, il va pouvoir renaître, même s'il ne va trouver du soutien et de la compréhension que parmi ceux qui sont comme lui : des étrangers dans un pays lointain qui se battent sans cesse l’hostilité qui les entoure et un climat qui les antagonise. Introverti, le regard furtif, il tombe même sur un miroir dans lequel il ne veut pas se voir, représenté par Manel, un autre Catalan expatrié aux Pays-Bas, interprété sans son charisme habituel par David Verdaguer.
Caméra à l'épaule, à travers de nombreux plans-séquences qui rapprochent Muy lejos non seulement du cinéma documentaire, mais aussi et surtout du cinéma des frères Dardenne (et de cinéastes espagnols comme Belén Funes, Alvaro Gago ou encore Neus Ballús, qui a monté ce film), qu'Oms admire énormément, le réalisateur ne quitte jamais Sergio pour que le spectateur ressente la même angoisse et la même détresse. Il y parvient si bien que quand arrive le moment de la libération, d'un coup se volatilise le malaise qui l'avait accompagné jusque-là, pendant tout le film, comme le personnage de Mario Casas.
Muy lejos a été produit par Zabriskie Films et Revolver Amsterdam. Les ventes internationales du film sont gérées par Latido Films.
(Traduit de l'espagnol)
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