Critique : The Vanishing Point
par Giorgia Del Don
- La réalisatrice iranienne Bani Khoshnoudi cherche à donner vie aux fantômes d'un passé familial qui vit désormais seulement à travers les rares objets qui l'ont habité

The Vanishing Point, de la réalisatrice iranienne exilée aux États-Unis Bani Khoshnoudi, qui a remporté le Prix Burning Lights à Visions du Réel, est un beau spécimen de poésie visuelle qui distille chaque mot comme si c’était une larme silencieuse jaillie des yeux pour aller finir dans cette mer silencieuse qu'est la mémoire collective d’un pays en révolte. Après que son film sur le mouvement vert de 2009 ait été interdit, Bani Khoshnoudi s'est trouvée dans l'impossibilité de retourner dans son pays natal. Cet exil l'oblige à revoir son histoire personnelle sous un autre angle, à travers les souvenirs qu’elle garde jalousement, les témoins qui peuvent encore lui parler de ce qui s'est passé et les objets qui ont survécu à sa fuite. Dans le film, ce n’est cependant pas directement de sa vie qu’elle parle, mais de celle d’une cousine disparue et tuée dans les prisons politiques iraniennes, en 1988.
Les matériels dont elle dispose pour rompre un silence familial plein de peur et de pudeur sont les quelques objets appartenant à sa cousine qu'il lui reste (de rares photographies, une paire de lunettes, un petit carnet), ses propres souvenirs de quand elle était petite, les mots murmurés et les vidéos de toutes les personnes, anonymes, qui ont filmé la révolte d’un pays blessé revendiquant sa liberté. Accompagné par la monteuse Claire Atherton, la réalisatrice se lance dans la reconstruction quasi désespérée d’une vie finie tragiquement, dans une tentative pour retrouver sa propre dignité. Avec une minutie et un calme presque méditatif, la caméra de Bani Khoshnoudi se pose sur la page d’un album photo où a été arraché une image qui contraste avec la liberté d’une enfant qui, dans le présent du récit, joue dans le jardin d’une maison. Que signifie être effacée non seulement de l’histoire de son pays, qui ne tolère aucune déviation par rapport à la norme, mais aussi de son histoire familiale ? Voilà la question centrale que se pose la réalisatrice. Grâce aux vidéos de tous ceux qui n’ont jamais cessé de se rebeller en revendiquant leur sacro-saint droit d'exister (à commencer par les femmes), la réalisatrice redonne, dans un sens, une famille à sa cousine, et la replace à l’intérieur d’une histoire faite de cris, de douleur, d’espoir et de dignité.
D'une manière personnelle, délicate et extrêmement courageuse, la réalisatrice tisse ensemble son histoire familiale et celle de l’Iran et donne vie à un essai cinématographique plein d'une poésie désespérée. Si la violence n’est jamais cachée, ce n’est néanmoins jamais elle qui domine le discours. L'horreur se manifeste de fait de manière plus subtile, sous forme d’oubli. En regardant en face les petites miettes qui restent de ceux qui ne sont déjà plus là, le film nous confronte avec notre propre lâcheté. Combien de courage faut-il pour ne pas céder aux compromis, pour ne pas troquer sa liberté contre sa vie ? The Vanishing Point est un film indispensable capable de communiquer, dans un langage très cinématographique, toute l’horreur que suppose le fait de devoir se bâillonner pour ne pas mourir.
The Vanishing Point a été produit par Pensée Sauvage Films (Iran/Etats-Unis) et KinoElektron.
(Traduit de l'italien)
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