Critique : King Matt the First
par Marta Bałaga
- La Polonaise Jaśmina Wójcik nous embarque dans un jardin secret et montre ce qu'est une adaptation créative

Il devrait y avoir une loi contre les critiques qui commencent par des citations littéraires, parce que c’est pitoyable, mais apparemment, "si on regarde dans la bonne direction, on voit bien que le monde entier est un jardin", comme le prétendait Frances Hodgson Burnett dans le classique du roman jeunesse Le jardin secret, livre qui a été adapté, très joliment, par la Polonaise Agnieszka Holland. À présent, une autre Polonaise se dirige vers le jardin : la documentariste Jaśmina Wójcik, qui suit les contours d'un autre roman, Le Roi Mathias Ier de Janusz Korczak.
Ce livre écrit dans les années 1920, qui parlait d'un enfant prince élevé pour reprendre le trône après la mort de son père, a un peu vieilli, et en même temps pas du tout. Dans King Matt the First [+lire aussi :
interview : Jaśmina Wójcik
fiche film], projeté à Hot Docs, Wójcik ne reprend pas exactement l'intrigue du roman : au lieu de ça, elle suit ses deux filles tandis que l’isolement du jeune roi se met à refléter leur isolement à elles. C’est qu'on est en pleine pandémie, voyez-vous, alors c'est soit Zoom ou la nature soudain libérée, éclatante de couleurs, qui va bientôt dévorer ces filles et quiconque les regarde – et ça fait longtemps que vous n'avez pas vu ce genre de verdure.
Elles jouent et elles parlent : du vieux livre, qui a pour elles beaucoup de sens, mais aussi des choses qu’il décrit. Korczak a vécu la guerre (on y reviendra plus tard), or c’est aussi le cas du jeune héros et très vite, celui des voisins ukrainiens des filles. Les adultes peuvent chuchoter autant qu'ils veulent : les enfants vont toujours en entendre suffisamment pour se faire du souci à l'idée de la "Troisième Guerre mondiale" qui semble se préparer. Le Roi Mathias Ier, le film donne souvent l'impression d’être intemporel, mais il est aussi tout à fait de son temps. Comment grandit-on quand on entend constamment des nouvelles aussi terrifiantes ? Mais en même temps, est-ce que ça n’a pas toujours été comme ça ?
Il y a beaucoup à dire sur tout cela (le livre, le passé, le présent...), mais ce qui frappe, c'est que le film fait passer les enfants devant le reste. Les adultes tiennent la caméra, mais c’est tout ce qu’ils ont le droit de faire. Les fillettes ont assez d’espace pour faire ce qu’elles ont envie de faire ou dire ce qu’elles ont envie de dire. Tout s'opère de manière très libre, ce qui fait écho à la philosophie de Korczak sans le citer directement. C’est pourtant ce qu’on va faire maintenant : "Un enfant a le droit d’être lui-même. Il a le droit de faire des erreurs, d’avoir sa propre opinion, d'être respecté. Il n’y a pas d’enfants, il n'y a que des gens".
Il y a tout de même de la mélancolie, cachée dans les plis de ce touchant documentaire. Il vient du regard parental, préoccupé par l’état actuel des choses, et du travail de Korczak, plein de tendresse, certes, mais aussi très conscient que le monde ne va pas protéger les enfants, qu'il ne va en fait protéger personne. Pendant la guerre, en tant que proviseur d’un orphelinat, il s'est vu offrir une porte de sortie, mais il a refusé, car les enfants dont il s’occupait n’avaient pas accès à la même grâce. L’histoire dit qu'en chemin vers le camp d’extermination de Treblinka, ils portaient le drapeau de Le Roi Mathias Ier. L'histoire a été démentie par certains, mais comme une des filles de Wójcik court en tous sens avec une chemise attachée à un bâton, on a du mal à se défaire de cette image.
Pour rendre hommage à quelque chose, on n'a pas besoin d'en citer des passages entiers ou de respirer toute la poussière des archives. Ce film n’est pas une adaptation, tout en l'étant en peu. En tout cas, il va laisser les gens avec le cœur lourd, mais aussi avec la certitude que le printemps reviendra. Après tout, il est déjà là.
King Matt the First, scénarisé par Jaśmina Wójcik avec Igor Stokfiszewski, a été produit par la société polonaise Fixafilm. Les ventes internationales sont assurées par Raina Films.
(Traduit de l'anglais)
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