CANNES 2025 Semaine de la Critique
Critique : Reedland
par Fabien Lemercier
- CANNES 2025 : Sven Bresser signe un film envoûtant et troublant sur un vieux coupeur de roseaux obsédé par la volonté de résoudre un meurtre mystérieux

"Je suis arrivé en bateau, j’ai marché le long de la ligne de fauchage et j’ai vu une piste dans les roseaux. Je l’ai suivie et c’est là que je l’ai trouvée." C’est la découverte du cadavre d’une jeune fille dont une fourmi sillonne le ventre dénudé, qui sert d’appât au prenant et très atmosphérique Reedland [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] de Sven Bresser, dévoilé en compétition à la Semaine de la Critique du 78e Festival de Cannes. Car si le premier long métrage du cinéaste hollandais semble emprunter les sentiers du film criminel d’enquête, les apparences sont relativement trompeuses et bien davantage d’étrangeté fascinante sera au rendez-vous d’une oeuvre d’une grande beauté visuelle enchâssée dans une mise en scène très sophistiquée en contraste parfait avec une captation de l’environnement quasi documentaire.
"Pouvez-vous me raconter la journée du début à la fin ?" Pour Johan (Gerrit Knobbe dont le visage est sculpté comme une statue antique), fermier solitaire et veuf, allant chaque jour travailler sa parcelle de roseaux nichée au cœur du très vaste espace sauvage d’un marécage, il n’y a rien de compliqué à raconter sa routine aux deux policiers qui l’interrogent : il coupe, il lie, il brûle ce qui gêne, puis il rentre chez lui où seul l’accompagne le tic-tac de l’horloge (ce que le spectateur a pu constater avec les neuf minutes captivantes et sans aucune parole ouvrant le film). Mais le métier est menacé par la baisse des prix et de la qualité provoquée par les containers chinois, par la remise en question des bails au nom de l’Europe (ou de l’opportunisme capitalistique de certains) et par les débrousailleuses qui détruisent la terre et les roseaux.
"Il faut s‘adapter au changement", "tu dois avancer avec ton temps" : voilà ce qu’entend Johan. Mais il s’y refuse avec la plus grande fermeté, continuant à s’occuper avec affection de sa jument Grise, à sillonner en voiture les petites routes rectilignes d’un pays parsemé de fermes isolées et délabrées, et à garder de temps à autre sa petite-fille de 11 ans, Dana (Loïs Reinders). Mais ce cadavre qu’il a découvert le taraude et il entreprend d’enquêter lui-même aux alentours alors que la nature lui révèle par ailleurs une mystérieuse et sombre surprise…
Jouant des codes du film noir policier avec un zest de fantastique et des effluves de psychologie des profondeurs, Sven Bresser sème à merveille le doute et tire le meilleur parti de la géographie dans laquelle s’inscrit son histoire. Vent agitant les roseaux, pluies soudaines et torrentielles, cours désertes des fermes, feux de broussailles, forêt touffue, pierre noire, légendes locales de monstre caché et de sirène maudissant ses ravisseurs, sons perçant le silence : il y a, toutes proportions gardées, du True Detective dans l’air avec de légères pincées de Bruno Dumont (L’humanité), de Shyamalan et de Lynch, le tout à la sauce austère d’un hyper réalisme néerlandais méthodique enjolivé par une mise en scène particulièrement soignée (travail sur le hors champ, cadrages très variés, etc.) par le chef-opérateur Sam du Pon. Autant de qualités qui distinguent le cinéaste comme un artiste pouvant suggérer beaucoup avec peu, ce qui lui promet une suite de carrière à surveiller de très près.
Reedland a été produit par Viking Film (Pays-Bas) et coproduit par A Private View (Belgique). The Party Film Sales pilote les ventes internationales.
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