Critique : Marcel et Monsieur Pagnol
par Marta Bałaga
- CANNES 2025 : Sylvain Chomet remet à l’honneur Marcel Pagnol dans un film d’animation qui, s’il ne contient pas de scènes impudiques, est résolument une œuvre pour adultes

John C. Reilly l'avait parodiée dans Walk Hard: The Dewey Cox Story, car il y a bel et bien une formule pour les biopics, qui marche à chaque fois. On commence avec un personnage désormais âgé amené à se remémorer le passé pour une raison ou une autre, préférablement alors qu'il se trouve à un carrefour dans sa vie. Ensuite, la musique monte et les flashbacks commencent qui remontent, généralement, jusqu’à la petite enfance. Dans Marcel et Monsieur Pagnol [+lire aussi :
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interview : Sylvain Chomet
fiche film], le film d’animation biographique de Sylvain Chomet sur l'écrivain et réalisateur Marcel Pagnol, présenté à Cannes parmi les séances spéciales, ce qui déclenche tout est un simple article qui lui a été commandé par le magazine Elle.
Ça pourrait sembler simpliste, mais Pagnol vieux (auquel a prêté sa voix Laurent Lafitte, le maître de cérémonie de Cannes cette année) n'a pas hâte de s'y coller. Il n’est plus franchement "sexy", à ce stade, et sa nouvelle pièce de théâtre est en train de faire un four – et on ne peut pas tout imputer à "la crise du pétrole". Pagnol a clairement perdu de son aura auprès du public. En mal de nouvelles idées, il doit se confronter à une version bien plus jeune de lui-même. Littéralement. Et là le rideau se lève de nouveau : bienvenue dans Marcel et Monsieur Pagnol.
Le film le plus connu de Chomet, Les Triplettes de Belleville [+lire aussi :
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fiche film], célèbrait aussi le passé, mais il proposait une virée débridée alors que là, on a affaire à un film calme et traditionnel. À l'évidence, le réalisateur a envie de rendre hommage à un autre artiste, mais il cherche aussi à le remettre sur le devant de la scène. Pagnol, décédé dans les années 1970, n’est plus depuis longtemps une célébrité internationale. Le film va en profondeur, peut-être trop, parfois, car beaucoup d’informations nous sont livrées ici, mais le film est suffisamment ludique pour qu'on ne voie pas le temps passer. Chomet admire clairement le travail de Pagnol, mais ça ne l’empêche pas de montrer également ses humiliations. "Je n'ai pas envie de vivre avec un campagnard plein d'amertume", lui dit sa femme quand elle décide de le quitter enfin – le pauvre homme ne sachant même pas que la Gare de Lyon est à Paris. Mais il va apprendre. Le film parle aussi du fait de gagner en maturité.
Il parle aussi de faim, de faim d'en avoir plus, toujours plus. Il faut savoir tirer sa révérence, dit quelqu'un dans le film, mais les artistes prennent-ils jamais vraiment leur retraite ? La vie de Pagnol est une réinvention constante. Ce sont souvent les stars de la pop dont on dit, aujourd'hui, qu'elles ont différentes "périodes", mais pour Pagnol, c'est également le cas. Il a été dramaturge, auteur, cinéaste. Son passage au cinéma est particulièrement amusant ici, avec des scènes riches en répliques inénarrables. "Un réalisateur est plus respecté quand il vient de l’étranger, comme les menteurs. C'est souvent un menteur lui-même". Amen.
L’ascension de Pagnol, pas exempte de ratés et de mauvaises décisions sentimentales ("mise sur un amour tranquille" est un conseil qu’il n'arrive apparemment pas du tout à suivre), est interrompue par la guerre. La guerre, le deuil, des souffrances inimaginables : la vie de Marcel eut peut-être ses moments magnifiques, mais elle fut aussi terriblement dure. Ce nouveau film de Chomet, s’il ne contient pas de scènes impudiques, est un film pour adultes, car il faut être adulte pour comprendre l’ambition, l’élan et la mélancolie de cet homme (sans oublier les énormes chagrins qu'il a pu avoir), mais ne vous faites pas de soucis, comme dans tout film d'animation qui se respecte, il y a aussi ici des animaux qui parlent et qui crient : "Pagnol, plus vite !". C'est qu'il est déjà en retard pour son papier pour Elle.
Marcel et Monsieur Pagnol a été produit par What the Prod, Picture Box (France) et Bidibul Productions (Luxembourg), en coproduction avec Walking the Dog (Belgique). Les ventes internationales du film sont gérées par Elle Driver.
(Traduit de l'anglais)
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