La vie est bien étrange dans la compétition courts-métrages de Cannes
par Laurence Boyce
- CANNES 2025 : Les courts-métrages en lice cette année pour la Palme d’or semblent emprunter des voies plus opaques que de coutume

Si les courts-métrages traitent souvent de questions sociales brûlantes d’actualité, une majorité de ceux qui vont concourir pour la Palme d’or de Cannes cette année adoptent une vision plus abstraite du monde. Certains flirtent avec le réalisme magique, d’autres jouent avec l'obtus et le non-dit, en somme un parfum d'inconnu enveloppe une bonne partie des courts de la sélection officielle. Ils présentent un monde divisé par des fractures générationnelles et éthiques, un monde en grand manque d'assurance qui se languit du passé comme d'un futur qui paraît impossible à connaître. Cependant, dans l’inconnu, il y a des moments où une lueur d’espoir apparaît.
Le premier titre qu'on peut citer, un des nombreux français de cette sélection, Dammen by Grégoire Graesslin, suit deux jeunes filles qui s'installent au bord d'un lac, en pleine nature, par une belle journée d’été, mais à mesure que la journée s'écoule, les choses deviennent de moins en moins idylliques. Ce travail est de ces films sur lesquels en dire trop gâcherait la découverte. Ce qu'on peut dire, c'est que c'est une œuvre très juste qui flirte avec le genre tout en examinant la manière dont l’ordinaire peut, insidieusement, se muer en quelque chose de très inconfortable, à n’importe quel moment. Ce court-métrage où l'on retrouve quelques échos stylistiques de celui qui avait valu à Ruben Östlund un Ours d'or en 2010, Incident by a Bank, est aussi un bel exemple de pleine utilisation de la forme courte.
The Spectacle, du Hongrois Bálint Kenyeres, puise dans le surnaturel, car il tourne autour d'un jeune garçon rom dont le don très particulier attire des gens de l’extérieur dans son village. Cette satire à l'humour grinçant réfléchit aux préoccupations et aux préjugés des médias voraces, et à la manière dont ceux-là deviennent un reflet de la valeur qu'on se donne à soi-même. Kenyeres fait fusionner de main d'expert le fantastique et le réalisme social, livrant une œuvre qui donne brillamment matière à réflexion.
Une autre dose de surréalisme pourra être trouvée dans The Loneliness of Lizards de la Portugaise Inês Nunes, où les pensionnaires d'un spa sont entourés de sel et d'eau. Tandis qu’ils se font griller au soleil ou flottent dans l’eau, le réel se dissipe, la réalité se distord et ploie. Ce court, avec son atmosphère onirique composée de nombreux plans longs et chargés de torpeur, vous happe subrepticement par le traitement qu'il fait de questions comme le désir et le besoin de s’évader. L’autre film portugais de la sélection, Arguments in Favour of Love de Gabriel Abrantes, s'immerge dans l'étrange et confie à des fantômes la tâche d'explorer les problèmes de relations quotidiens. Ce film, qui combine joyeusement la remarquable animation de ses protagonistes de l'au-delà et le réalisme très terre à terre des "arguments" du titre (le tout entrecoupé par un examen peiné de ce que l’humanité a perdu à l’ère moderne), est un travail mélancoliquement provocateur.
C'est de l’animation plus traditionnelle que propose Fille de l’eau de Sandra Desmazières (France), où Mia, qui a passé sa vie à nager dans l’eau, se souvient de son passé. Le film, ode splendide au fait de vieillir et au deuil, mais aussi à la joie d’une vie bien vécue, est beau et émancipateur.
Dans I'm Glad You're Dead Now (Palestine/France/Grèce), Tawfeek Barholm pose sa caméra sur deux frères qui retournent sur l’île de leur enfance. Ce court est parcouru de secrets non-dits et d'émotions tues, et arrive à avoir un impact très fort en toute économie de moyens. Vultures de Dian Weys (France/Afrique du Sud) est moins modéré, qui montre un dépanneur arrivant sur le théâtre d'un accident, pour voir les choses s'emballer encore davantage. C'est un exercice de tension qui monte merveilleusement réalisé et tout à fait acharné qui a aussi beaucoup de choses à dire sur l’éthique et la morale de la société moderne.
Voici la liste complète des films qui ont été projetés dans le cadre de la sélection officielle courts-métrages de Cannes :
Arguments in Favor of Love - Gabriel Abrantes (Portugal)
Ali - Adnan Al Rajeev (Bangladesh/Philippines)
I'm Glad You're Dead Now - Tawfeek Barhom (Palestine/France/Grèce)
Agapito - Arvin Belarmino, Kyla Danelle Romero (Philippines)
Fille de l'eau - Sandra Desmazières (France)
Hypersensitive - Martine Froissard (Canada)
Dammen - Grégoire Graesslin (France)
The Spectacle - Bálint Kenyères (Hongrie/France)
Nvhai (Lili) - Zhaoguang Luo, Shuhan Liao (Chine)
The Loneliness of Lizards - Inês Nunes (Portugal/Espagne)
Vultures - Dian Weys (France/Afrique du Sud)
(Traduit de l'anglais)
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