email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

CANNES 2025 Quinzaine des Cinéastes

Critique : Oui

par 

- CANNES 2025 : Nadav Lapid entreprend courageusement de prendre la température d'Israël après le 7 octobre, mais de sa tribune, il ne peut pas en dire tant que ça non plus

Critique : Oui
Ariel Bronz dans Oui

Dans le nouveau film de Nadav Lapid, Oui, les personnages, peut-être paralysés par l'horreur qu'ils voient autour d'eux, semblent avoir perdu la capacité (ou la volonté) de parler. Ils dansent, avec une agressivité intimidante, et les émotions qu'on tendrait normalement à verbaliser, comme la colère, la passion ou l'amour, sont ici chantées, ou jetées sur un piano, façon Thelonious Monk. Le personnage central a ensuite recours à une manœuvre plus familière : il donne des ordre à son clavier iOS. Alors que les Israéliens vivaient à plein le traumatisme du 7 octobre, et l'imposaient eux-mêmes sans merci à Gaza, Lapid a décidé de rendre compte du confort de la vie d'un citoyen lambda à Tel Aviv, la grande métropole du pays, livrant ce faisant une contribution plus précieuse et sagace que beaucoup ne voudront l'admettre. Si une première en compétition aurait sans doute accru la tension autour de ce film, c'est facilement un des meilleurs du Festival de Cannes cette année. Yes a été projeté à la Quinzaine des Cinéastes.

Quand le héros du Genou d'Ahed [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Nadav Lapid
fiche film
]
avait tout le désert du Néguev pour y projeter sa rancœur, celui de Oui (joué par Ariel Bronz, et aussi appelé Y., ou Yud, si on retranscrit le nom hébreu de cette lettre) opère dans un espace intellectuel plus étouffant, dénué de l'espoir, la liberté et la flexibilité dont le Y. du Genou d'Ahed observait déjà le chant du cygne. Appartenir à la frange de la population israélienne qui ne soutient pas la guerre à grands cris a vidé Y. et sa femme, Jasmine (Efrat Dor), de leurs personnalités et de leurs âmes. Pour vivre, ils dépendent d'une élite qu'ils divertissent à travers leur art de danseurs expérimentaux, d'"animateurs" de fêtes et parfois d'escorts de luxe. Le chef-d'œuvre tout de dialogues et de polyamour qu'est La Maman et la Putain de Jean Eustache a particulièrement influencé Lapid : Oui, qui dure de son côté 150 minutes, en est sa version qui scrute les dynamiques à l'œuvre au sein d'un couple moderne qui a du mal à s'accrocher à ses principes même niché dans leur petit appartement de jeunes parents fauchés, mais les rues et le monde au-delà est encore pire.

Le noyau de tout est la soumission de Y. à l'ultimatum qui lui est imposé de dire "Oui". En Israël, dans ce genre de moment historique, les artistes du pays sont déployés comme des instruments de la politique de hasbara (propagande) du gouvernement – même si bien sûr, le pays vit depuis longtemps une situation de guerre perpétuelle. Comme Y. est aussi un talentueux compositeur, la mission qu'on lui confie, s'il veut pouvoir s'offrir un confort de vie minimal en tant que membre de la classe moyenne et acheter des couches pour son fils, est de mettre en musique, sur un air galvanisant mais élégamment mélodique, un poème patriotique répugnant appelant à l'annihilation de Gaza.

Dans la deuxième partie du film, la plus longue, Y. adopte une approche à la Stanislavski de son métier et franchit la mince bande disputée de la ligne de séparation au point le plus proche possible de la ville de Gaza. Peut-être essaie-t-il de réveiller le nationalisme dont on l'a sûrement gavé durant toute son enfance et lors de son service militaire (et qu'il a intégré en dépit de la conscience morale de feu sa mère adorée) pour devenir l'interface de l'état d'esprit de l'Israélien moyen.

Les différents éléments que Lapid essaie de réunir ne s'assemblent pas de manière aussi fluide que dans Le Genou d'Ahed, la caméra en fait en peu trop avec ses acrobaties, dans la première partie, par envie d'impressionner (ce qu'elle finit tout de même par faire) et le film précédent de Lapid avait un niveau de concentration sur son sujet, avec un regard ultralucide, que cette somme gênée au présent de l'indicatif n'arrive pas à conserver. Cependant, dans des pays comme la France, où le cinéaste vit désormais, les films de Lapid ne sont pas que de l'art, mais des plateformes pour de vrais débats. À un festival où beaucoup de films évoquent des colonnes de journal rédigées à la va-vite pour commenter la crise, celui de Nadav Lapid est le plus disert, et on peut être certain d'en entendre parler de nouveau.

Oui est une coproduction qui a réuni les efforts de la France, d'Israël, de Chypre et de l'Allemagne à travers les sociétés Les Films du Bal, Chi-Fou-Mi Productions, AMP Filmworks, Komplizen Film, ARTE France Cinéma et Bustan Films. Les ventes internationales du film sont assurées par Les Films du Losange.

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy