Critique : Night Passengers
par Teresa Vieira
- CANNES 2025 : Dans son deuxième long-métrage, Pedro Cabeleira brosse un tableau plein d'urgence d'une partie de la société portugaise et d'une génération en difficulté, presque impuissante

L'action du nouveau long-métrage de Pedro Cabeleira, Night Passengers, qui a fait sa première mondiale à l'ACID de Cannes, se déploie à Entroncamento, une ville (dont le nom donne son titre original au film) située au centre du Portugal où se trouve la jonction de deux grandes lignes de chemin de fer : une qui va au nord, et l’autre à l'est. Ce lieu d'intersection, en dehors de la capitale, est le décor des parcours qu'on suit ici : ceux des gens qui habitent cet endroit.
Quand Laura (Ana Vilaça) arrive en ville pour vivre avec sa cousine, elle porte le lourd bagage de sa vie antérieure. Sa délocalisation représente une tentative d'ouvrir un nouveau chapitre dans sa vie, mais inévitablement, c'est surtout aux locaux qui ont toujours vécu là qu'elle va apporter de la nouveauté. Elle-même n'arrive pas à échapper à ses habitudes et se retrouve happée dans les activités nocturnes de sa nouvelle ville, qui impliquent argent et crime.
Laura est certes la force motrice du film, mais on apprend aussi à connaître toute une panoplie d’autres personnages, tous reliés d’une manière ou d’une autre, de Virgílio (Henrique Barbosa) et sa partenaire (Cleo Diára) à d’autres groupes de dealers et figures de ce milieu (Rafael Morais, Tiago Costa, Sérgio Coragem, André Simões). Une constellation d’individus frappants est formée dont on va suivre les vies, qui s’entrecroisent constamment. Ce sont les "passagers de nuit" du titre de ce train en forme de film : chacun y a son siège, et sa provenance socioculturelle et ethnique.
Le scénario, écrit par Cabeleira et Diogo Figueira, témoigne d’une connexion profonde avec ce que ces personnages pourraient avoir dit ou fait : chaque mot qu’on entend ici est naturel, et fait mouche. Ce récit de fiction, rehaussé par des interprétations remarquables de la part de tous les comédiens (avec une mention spéciale pour Henrique Barbosa) arrive à s'élever au-delà de ce qu’il promet en créant l'espace qui convient pour chacun des personnages et en trouvant un juste équilibre entre eux. C’est particulièrement le cas pour les fortes femmes qui maintiennent l'union de cet endroit, et ces gens, et qui leur demandent des comptes. Le travail sur la direction artistique, les décors et les costumes est brillamment précis, et la ville d'Entroncamento elle-même devient un personnage à part entière. L'utilisation des caractéristiques propres à la ville comme manière de créer de la lumière, ou d’ajouter ou de supprimer de l'espace visuellement, est remarquablement fluide. Le style caméra à l’épaule, accompagné par un paysage sonore chargé, renforce le sentiment de mouvement constant, et la bande originale ajoute tout un autre niveau de lecture au film par sa variété sur le spectre musical, qui apporte quelque chose de différent à des éléments qu’on a en fait probablement déjà vus avant.
Dans ce qui aurait pu être une histoire uniquement fondée sur le côté louche des activités nocturnes illicites, le développement de l’intrigue va plus plus en profondeur que cela. Night Passengers explore non seulement les difficultés financières que connaissent les personnages, mais aussi certains des problèmes socioculturels et historiques plus profonds qui conditionnent leurs existences. Des préjudices à l'encontre de la communauté rom et des discours haineux sur les immigrés à des schémas de comportement profondément misogynes en passant par les problèmes propres à une petite ville de province, le film évoque une variété de questions sociétales inhérentes à un pays qui est en train de glisser de plus en plus vers l’extrême droite. Explorer en profondeur ses personnages, mais aussi le contexte dans lequel chacun existe, permet au film de brosser un tableau brûlant d'actualité d’une partie de la société portugaise d’aujourd’hui, mais aussi d’une génération en difficulté, presque totalement démunie.
Night Passengers a été produit par OPTEC Filmes (Portugal) en coproduction avec Kometa Films (France). Les ventes internationales du film sont assurées par Pluto Film.
(Traduit de l'anglais)
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