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FILMS / CRITIQUES Pays-Bas

Critique : I Shall See

par 

- Dans son premier film, Mercedes Stalenhoef explore les challenges qui se présentent pour une adolescente qui vient de perdre la vue

Critique : I Shall See
Aiko Beemsterboer dans I Shall See

La réalisatrice hollandaise Mercedes Stalenhoef réfléchit dans son premier long-métrage de fiction, I Shall See [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
, qui a fait sa première mondiale à Rotterdam, à la question des rêves et de la cécité à travers l'histoire d’une adolescente, Lot (Aiko Beemsterboer), qui perd la vue dans des circonstances tragiquement malencontrueuses. Ce récit d’apprentissage dramatique a participé cette année au programme EUROPE! Voices of Women+ in Film de l'EFP-European Film Promotion, organisé en juin en collaboration avec le Festival de Sydney.

Lot est une adolescente active qui adore la plongée et à 17 ans, sa vie déborde d’enthousiasme face à l'avenir qui l'attend. Quelques minutes seulement après le début du film, tous ces espoirs sont pulvérisés. Sa tentative d'allumer un pétard pour fêter la nouvelle année tourne à l'accident dévastateur : elle est gravement blessée aux yeux à cause des étincelles et des projections. On voit ensuite Lot batailler, douloureusement, avec sa nouvelle situation, rendue de manière très convaincante par la jeune Beemsterboer. Le film s'immerge dans les eaux complexes du parcours qu'elle va devoir faire, car le chemin vers l'acceptation est pavé de déni. Ce dernier est évident dans le refus initial de la jeune fille d'accepter son handicap ("Je ne suis pas handicapée", hurle-t-elle à sa mère), et sa réticence à s'inscrire à un centre de réadaptation visuelle ou à utiliser une canne blanche (c'est qu'elle s’accroche à l’espoir que sa vue s'améliore, et accepter cet instrument équivaudrait sans doute pour elle à se résigner prématurément).

Son parcours est compliqué par son âge : l'adolescence ne va pas sans son lot de souffrances et de choix discutables. Le film interroge la manière dont la cécité exacerbe tous ces changements, remodelant les notions d'intimité, d'autonomie et de capacité d'action. Dans une scène poignante, Lot doit demander à un membre de sa famille de jeter un oeil à ses sous-vêtements pour voir si elle a ses règles. Dans une autre, légèrement ivre et manifestement mal à l’aise avec la conversation qu'ont ses copains sur les examens qui arrivent et leurs projets d’études, elle jure de tous les "battre".

Beemsterboer est ici flanquée de Minne Koole dans le rôle d'un jeune homme appelé Micha, et d'Edward Stelder dans celui du personnage plus âgé qu'est Ed, qui fait office de figure de père pour Lot. Micha et Ed sont centraux dans le réseau de personnes qui soutiennent la jeune fille au centre de réadaptation : tous les trois, ils essaient de participer à différents ateliers, se racontent leurs aventures et des demi-vérités, et se tournent souvent vers la boisson, les cigarettes et le sommeil pour un peu de réconfort face aux affres de leur situation. Dans cette nouvelle réalité, rêver constitue un temps de répit, une sortie du "monde aveugle". Dans ses rêves, les yeux de Lot sont intacts et elle voit, ce qui ne rend le retour à la vie éveillée que plus insoutenable. Les choses se mettent à changer après une conversation avec Micha, qui lui confie que tout ce qu'il souhaite, c'est dormi, "précisément parce que quand [il] dor[t], [il] retrouve la vue". Maintenant, Lot aussi adore ses rêves, et elle a même recours aux somnifères pour quelques heures de sommeil de plus.

Sur le plus gros de la durée du film (96 minutes), la caméra (guidée par Mark van Aller) reste attachée à ce que vit Lot, et la suit de scène en scène, concentrée sur son visage en excluant délibérément toute vue complète des autres personnages, qu'on ne fait qu'entrevoir ou qui ne sont que des voix orbitant autour d'elle. Les cadrages serrés permettent de comprendre le monde de Lot, qui s'est contracté et réduit à ce qui est immédiatement à portée de son corps, qu'il s'agisse de bouts de visage ou de la canne traînée sur le sol. Ces plans alternent avec ceux qui adoptent son point de vue, obscurci par des taches noires et des flous. Le film emploie des teintes froides pour rendre la position de retrait émotionnel de l'héroïne, et créer un effet de contraste avec les séquences de rêve, radieuses. L’entrée dans ses rêves est souvent marquée par des motifs visuels et auditifs liés aux éléments (le feu, le vent ou l'eau - profonde, qui vous happe), accompagnés par le design sonore kaléidoscopique de Michel Schöpping. Quant aux interprétations des acteurs, elles sont particulièrement brillantes dans les scènes qui dépeignent les moments les plus durs de l'intense parcours de Lot, fait d'une succession de hauts et de bas. D'autres scènes, cependant, révèlent le besoin de moments plus calmes et épanouissants sur plan émotionnel.

I Shall See a été produit par la société hollandaise Labyrint Film, qui s'occupe aussi de ses ventes internationales.

(Traduit de l'anglais)

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