Critique : Road 190
par Aurore Engelen
- Charlotte Nastasi et Emilie Cornu livrent une chronique saisissante de la vie dans la ville aux huit prisons, au Texas, où plane l’ombre des exécutions qui s’y pratiquent encore

Road 190 de Charlotte Nastasi et Emilie Cornu, découvert au printemps dernier à Visions du Réel, est présenté au Brussels International Film Festival (BRIFF) en Compétition Nationale. Il s’agit du premier long métrage documentaire des deux autrices, Charlotte Nastasi, diplômée de l’IAD en Belgique, où elle a réalisé son premier court métrage et film de fin d’études, Un sicilien et les femmes, et Emilie Cornu, qui est psychocriminologue.
Road 190 débute par un très beau plan, intrigant, un cadre dans un cadre dans un cadre. Un prisonnier, au parloir et immobile ou presque, dont on entend le monologue en voix off. Mabry est dans le couloir de la mort depuis plus de dix ans. Il a eu le temps de repenser sa vie, de réévaluer ses actes, sa façon de voir le monde. Il n’a rien autre à faire, Mabry, que de se demander comment il est arrivé là. Avec une lucidité surprenante, il constate les faits. Aujourd’hui, on dirait surement que c’est une certaine forme de masculinité toxique qui l’a mené jusqu’ici. Dans sa cellule, il a appris la patience. Et il imagine, jour après jour après jour la dernière fois qu’il la quittera, le dernier trajet jusqu’au lieu de l’exécution. S’il en est venu à faire preuve d’une certaine résilience, il lui reste pourtant un peu d’amertume. Notamment quand il pense à ces gardiens, qui vivent au quotidien aux côtés des détenus condamnés à mort, et qui forment pourtant une haie d’honneur lors de leur dernier trajet.
En parallèle de la parole de Mabry, on explore la région, les habitants de ces villes cernées par les prisons, dont le tempo vibre au rythme des exécutions. Cette violence d’état - et même ces meurtres d’état comme les appellent quelques manifestants bien esseulés - trouve un écho dans la violence larvée qui innerve la communauté. Les armes surtout sont partout. Ici, on chasse, dès la plus tendre enfance. C’est une Amérique rurale dans laquelle on va à l’église, on joue au softball au pied de la prison, on prône le self-defense, on apprend à tirer en famille, on boit un coup entre amis entre deux danses en ligne. Au fast food du coin, on commande un Killer Burger ou une Chaise Electrique. Les réalisatrices ont arpenté la route qui mène de la prison où est détenu Mabry à celle où il sera exécuté. Une façon d’essayer de connaître, à défaut de toujours les comprendre, ces Américains qui vivent pour la plupart en paix avec le spectre de la peine de mort. Un documentaire sobre, qui souligne un fossé culturel parfois complexe à saisir.
Road 190 est produit par Close Up Films (Suisse) et Stenola Productions (Belgique).
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