Critique : L’Aventura
par Fabien Lemercier
- Sophie Letourneur met à nu la vie dans toute sa simplicité à travers un récit sophistiqué en ricochets sur les vacances itinérantes en Sardaigne d’un couple français avec ses deux jeunes enfants

"Il ne se passe rien – C’est la vie, il se passe tout." À l’image de cet échange entre les deux parents de la petite famille protagoniste de L’Aventura [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] de Sophie Letourneur qui a ouvert la programmation de l’ACID au Festival de Cannes et que Arizona Distribution lance le 2 juillet dans les salles françaises, c’est l’existence humaine dans toute la richesse de sa banalité partagée par tous que la cinéaste explore.
Après les vacances en Sicile du facétieux Voyages en Italie [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film], nous voilà de nouveau dans le sillage du couple de Parisiens composé de Sophie (la réalisatrice elle-même) et de Jean-Phi (Philippe Katerine). Mais cette fois, direction la Sardaigne et avec les enfants, la pré-adolescente Claudine (Bérénice Vernet) et Raoul (Esteban Melero) âgé de trois ans, pour des pérégrinations qui ne seront pas de tout repos.
Départ de Paris, train-couchette, ferry jusqu’à Porto Torres, puis descente par l’ouest de la Sardaigne notamment via Alghero avant de rallier plus au Sud l’île de San Pietro : le périple familial est improvisé au fur et à mesure ("je n’ai rien préparé, c’est l’aventure", "on ne sait pas où on va"), ce qui ajoute au stress de voyager avec de jeunes enfants (faire et défaire sans répit les bagages, gérer le gentil mais intenable Raoul et ses cacas qui obnubilent tout le petit groupe). Un réalisme très juste nourri aussi des classiques de l’été italien (glaces, pizzas, plages avec ses brassards, baignade et pâtés de sable, bars et restaurants, agriturismo, etc.) et des hauts et des bas typiques d’une phalanstère familiale nomade (découverte plus ou moins agréable des locations, inquiétudes multiples de Jean-Phi pour la chaleur, les possibles vols de bagages ou les amortisseurs de la voiture, menus désaccords des géniteurs - "pourquoi tu as pris une couette ?" – Mon portefeuille est dans le pantalon bleu – J’ai oublié le pantalon bleu"). Une impeccable étude in vivo, mise en scène comme "une cabine sans fenêtre" et détaillant la place de chacun dans la famille, qui ne serait néanmoins que simplement sympathique sans le talent narratif très sophistiqué de la réalisatrice (qui a écrit le scénario avec Laetitia Goffi et qui a assuré le montage elle-même).
"Ça y est, ça enregistre". Le film est en effet raconté au fur et à mesure de son déroulé par les protagonistes eux-mêmes qui tentent de se souvenir de ce qu’ils ont vécu les jours précédents. Des discussions décousues (mais très précisément dialoguées) qui entrainent une multitude de jeu de répétitions, d’allers-retours en flashbacks s‘enchevêtrant les uns dans les autres (comme si l’on montait et descendait sans arrêt un escalier, une marche en avant, deux en arrière, trois en avant, etc.) et ricochant sans cesse au point de faire entrer le spectateur en parfaite empathie légèrement confuse avec ce road-movie d’un mini-chaos familial. Oeuvre techniquement très subtile et à multiples facettes sur la mémoire, immédiate et éternelle, L’Aventura fait entrer comme par effraction au cœur d’un microcosme familial en miroir universel et s‘impose avec une grande habileté formelle comme une intrigante étoile filante cinématographique.
L’Aventura a été produit par Atelier de Production et Tourne Films, et coproduit par Sacré Vendredi Productions. Best Friend Forever pilote les ventes internationales.
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.