Critique : When a River Becomes the Sea
par Veronica Orciari
- Le nouveau film du Catalan Pere Vilà Barceló est un récit dramatique fort et bien interprété sur les abus sexuels qui repose sur une écriture très précise pour chaque personnage

Cette année, le hasard a voulu que la compétition pour le Globe de cristal de Karlovy Vary accueille plusieurs films autour du sujet des abus sexuels, qu'il soit question de prédation, comme dans Broken Voices [+lire aussi :
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fiche film], à quelque chose de bien plus ambigu se situant dans la zone grise d'une situation d'emprise entre jeunes adultes. When a River Becomes the Sea [+lire aussi :
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fiche film] du Catalan Pere Vilà Barceló, qui a co-écrit le film avec Laura Merino Compte, traite de la deuxième situation. Gaia (Claud Hernández), jeune étudiante en archéologie, a du mal à trouver sa véritable vocation et n’est pas sûre de son choix d’études. Elle vit avec son père (Àlex Brendemühl), boulanger, et l'aide souvent dans ses activités. La présence de la professeurr de Gaia, une figure de mentor incarnée par Bruna Cusí, va changer le cours de la vie de la jeune fille, et l’archéologie va rester un fil rouge central tout au long de l’intrigue du film.
Avec l’aide de cette femme plus âgée, l'héroïne se rend compte progressivement que ce qu'elle a vécu avec son petit ami était de l'abus. La relation qui se noue entre elles est la preuve que le film est extrêmement bien écrit, car elle permet de voir les cicatrices émotionnelles de chacune remonter à la surface. Cependant, When a River Becomes the Sea est avant tout un film qui, paradoxalement, repose sur deux grandes absences, plus que sur des présences. Les deux personnages principaux restant à l’écran sur toute la durée du film, mais en même temps, on n'est pas sans remarquer le manque d’une figure maternelle dans la vie de Gaia. Le fait que sa seule figure parentale soit un homme est un choix narratif très délibéré, car l'opposition entre les sexes est ainsi intensifiée. Bien que le tableau de l’homme adulte présenté souligne cette confusion, le père de Gaia est décrit comme très attentif et compréhensif.
L’autre grande absence est la cause de la souffrance de Gaia : son petit ami. Il est partout dans les mots de l’héroïne, mais on ne le voit jamais. De nouveau, ce n’est pas une coïncidence, mais clairement un autre choix qui témoigne de l’excellente écriture du film. Trop en montrer (ou trop expliquer) aurait rendu l’histoire plus banale. Un élément qui enrichit cette approche est la présence de sa mère à lui, remarquablement incarnée par Laia Marull. Ce personnage relativement mineur, mais merveilleusement écrit, est l’exemple même de la vision d’une femme qui a du mal à comprendre son rôle dans ce qui s’est passé. Le fait que, dans trop de cas, les femmes se sentent poussées à des actes sexuels qu’elles ne désirent pas, simplement parce qu’elles croient que c'est normal, que ça fait partie de la relation amoureuse, est un élément central dans l’histoire. Cette dynamique est beaucoup trop souvent négligée dans les films, qui tendent à se concentrer sur des abus plus évidents commis par des inconnus ou des prédateurs sexuels.
Vilà Barceló est de retour en compétition à Karlovy Vary avec ce sixième long-métrage, 13 ans après La Lapidation de Saint Etienne [+lire aussi :
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fiche film] (2012), et le résultat est plus que satisfaisant. La longueur du film (près de trois heures) va le rendre moins attrayant pour certains publics bien que ce soit une intention de mise en scène délibérée qui permet de laisser du temps à Gaia pour qu'elle traverse toutes les émotions liées à sa prise de conscience. Ce manque d'attrait possible, pour le grand public, est bien regrettable, car le film est en fait très fluide, notamment du fait de ses solides qualités techniques. Son aspect le plus faible est probablement la photographie de Ciril Barba, globalement très bien, mais parfois un peu plate, ou pas assez exploitée alors qu'il y avait du potentiel. La plupart des scènes les plus dures reposent inévitablement sur les épaules de Hernández, dont la prestation ici est tout à fait remarquable. Même lors des éclats de colère et dans les réactions les plus marquées, l'actrice parvient à être crédible et à très bien rendre les tourments de son personnage.
When a River Becomes the Sea a été produit par fromzerocinema (Espagne). Les droits internationaux du film sont encore disponibles.
(Traduit de l'anglais)
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