KARLOVY VARY 2025 Séances spéciales
Critique : Duchoň
par Martin Kudláč
- Le réalisateur slovaque Peter Bebjak chronique l'ascension et la chute d'un chanteur de variété tchécoslovaque et étudie la condition de star parrainée par l'État derrière le Rideau de fer

Le réalisateur slovaque Peter Bebjak s'est bâti une carrière de metteur en scène variée, entre cinéma grand public et cinéma d'auteur, mais du thriller politique The Line [+lire aussi :
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Dans son pays, Duchoň, surnommé le "Tom Jones slovaque", fait actuellement l'objet d'un regain d'attention. Le film de Bebjak reconstruit son parcours, de chanteur dans une petite ville à figure majeure de la culture populaire dont la carrière a été façonnée par les attentes du public et le parrainage du Parti communiste, qui lui a permis de se produire à l'international derrière le rideau de fer. À partir de la pièce de théâtre The Earth Remembers de Róbert Mankovecký, adaptée pour l'écran par Jiří Havelka, le film se déploie comme une série de vignettes. Cette structure épisodique accentue le tableau de l’ascension météorique de Duchoň et des pressions auxquelles il fut confronté, le tout scandé d'interprétations de ses chansons les plus connues tandis que défile à un rythme rapide une vie de bohème qui s'est terminée bien trop tôt.
Duchoň, filmé par le chef opérateur Martin Žiaran, adopte une palette visuelle stylisée qui puise dans les couleurs saturées de la pop des années 1970 et 1980. Les décors se réfèrent à l’esthétique des studios de télévision de l’époque, et dans les séquences de spectacles et les montages, la mise en scène est de type théâtral. À un rythme très soutenu, le film parcourt les grands jalons de la carrière de Duchoň en ne posant qu'un regard sommaire sur sa vie personnelle, notamment ses relations avec son père (Gregor Hološka), sa mère (Agáta Spišáková), qui l'a toujours soutenu, et sa femme Elena (Anna Jakab Rakovská), dont les encouragements initiaux se sont taris à mesure que la célébrité et l'alcoolisme ont pris le pas.
Si le film est efficace comme véhicule pour les chansons de Duchoň, il ne se présente pas comme un simple hommage à ce que le chanteur a apporté au monde. Au lieu de plonger dans la dimension psychologique de son déclin, Duchoň favorise une approche où l'intrigue prime, nettement articulée autour du mouvement d'ascension puis de chute. Le film pose bien la tension entre le talent de l'artiste et les limites de sa position de star sanctionnée par l’État, s'inscrivant ainsi bien dans la lignée des autres travaux de Bebjak et de son intérêt pour les individus placés face à des systèmes. Bien que le film aborde les aspects plus sombres de la célébrité, il penche davantage du côté de la comédie que du drame psychologique, tout en intégrant de nombreuses références à la pop culture locale.
Duchoň, conçu pour attirer les jeunes comme les anciennes générations, est un biopic grand public, mais dont l'attrait reste largement local. Le film parlera moins aux spectateurs en dehors des frontières slovaques et tchèques. Malgré le fait qu’il se donne l’allure d’un récit faustien, autour d'un chanteur qui devient un des émissaires culturels du régime totalitaire tout en luttant contre ses propres démons, le sujet central du film reste la célébrité et la conformité dans un contexte national et historique spécifique.
Duchoň a été produit par DNA Production (Slovaquie) et DNA Production (République tchèque).
(Traduit de l'anglais)
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