Critique : Cutting Through Rocks
- Sara Khaki et Mohammadreza Eyni livrent un documentaire percutant sur la première conseillère municipale femme élue dans un village iranien et ses efforts pour démanteler des structures patriarcales

Cutting Through Rocks, le premier long-métrage des Iraniens Sara Khaki et Mohammadreza Eyni, livre un tableau profondément intime, où s'exprime calmement une attitude de défi, d'une vie de résistance et de résilience. Ce documentaire suit Sara Shahverdi, la première conseillère municipale élue dans un village iranien, et ses efforts pour démanteler des structures patriarcales profondément ancrées et permettre aux jeunes locales d'imaginer un futur fait de liberté, d'éducation et d’autonomie. Le film, qui a fait sa première à Sundance (où il a décroché le Grand Prix du jury World Cinema Documentary Competition), a décroché la semaine dernière le Prix Gex Doc du Giffoni Film Festival.
Le cœur battant de Cutting Through Rocks est vraiment Shahverdi, figure remarquable et pionnière qui sillonne en voiture les routes poussiéreuses de sa région, enseigne aux adolescentes comment faire de la moto et fait campagne contre la pratique du mariage d'enfant. La caméra, tenue à l'épaule, sans filtre, reste très près d'elle, sans jamais intervenir, mais elle se montre très réactive au poids émotionnel et politique de ses combats quotidiens. C'est cette approche brute, d'observation pure, qui donne au film sa force tranquille et permet à la tension qu'il contient de croître au fur et à mesure.
Le charisme de Sara et sa détermination sont le moteur du récit. Tandis qu’elle pousse les filles à rester à l'école, à rêver de carrières de médecin, d'enseignante ou d'ingénieure et à prendre le contrôle de leur vie, sa vision devient une lueur d’espoir dans un contexte social autrement très étouffant. Cependant, son parcours est loin d’être aisé. Elle suscite beaucoup de méfiance et de ressentiment. Quand des allégations font surface concernant ses intentions vis-à-vis des jeunes filles qu'elle accompagne comme mentore, l’identité même de Sara est passée sous le microscope et finit par être attaquée. Dans un retournement de situation particulièrement éprouvant, un juge va jusqu'à interroger son identité de genre, ce qui est a priori une tactique pour la discréditer et faire obstacle à son travail.
Une des scènes les plus émouvantes du film montre un rare moment de joie et de liberté : on y voit Sara, dans sa voiture blanche, qui mène un convoi de filles à moto. C’est une image libératrice, certes fugace, mais presque légère. La magie est brisée quand l'oncle d'une des filles survient et la gifle sur le bas-côté. Sara se précipite pour intervenir, mais son autorité est de nouveau mise en cause. Ces juxtapositions (entre légèreté et violence, émancipation et répression) déterminent le rythme du film.
La musique, utilisée avec modération et subtilité, souligne bien le parcours émotionnel du film sans tout envahir. La photographie, brute et naturelle, résiste à la volonté d’embellir, faisant écho à l’hostilité de ces terres et aux tensions sociales qui la parcourent. Cutting Through Rocks commence en observant tranquillement, puis gagne en intensité pour aller vers un crescendo émotionnel qui culmine dans une série de défaites douloureuses et de questionnements existentiels.
Quand arrive le dénouement, la réalité telle que vécue sur le terrain est sans appel : de plus en plus de filles sont rappelées à l'ordre établi et forcées, bien que mineures, à des mariages arrangés. Sara, de plus en plus seule, se demande : "Qui va soigner cette douleur ?". Ce n’est pas une question rhétorique, mais un cri désespéré, une reconnaissance de l'asymétrie du combat. Ses efforts, s'ils sont galvanisants à voir, se heurtent un système trop sclérosé pour évoluer. Le film n'offre pas de sentiment de clôture ni d’espoir facile, et c’est toute son honnêteté. Ceci n’est pas l'histoire triomphale d'un changement en cours, mais l'histoire d'une résistance nécessaire face à des déséquilibres insurmontables.
Ce documentaire est à la fois un témoignage sur le courage d'un individu et une sonnette d'alarme qui donne à réfléchir. Il nous rappelle que même les individus les plus extraordinaires ne peuvent pas aller bien loin quand les systèmes qu'ils dénoncent sont conçus pour les supprimer, et que certaines blessures, personnelles et collectives, sont peut-être trop profondes pour être guéries.
Cutting Through Rocks a été produit par Gandom Films (Iran) en coproduction avec inselfilm (Allemagne), le Fonds Bertha de l'IDFA (Pays-Bas), Chicken & Egg (États-Unis), le Doha Film Institute (Qatar), P-Squared Philanthropies (États-Unis), le Meadow Fund (États-Unis), Film Estudios (Chili) et le Hot Docs Lab (Canada). Les ventes internationales du film sont assurées par l'agence autrichienne Autlook Filmsales.
(Traduit de l'anglais)
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