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LOCARNO 2025 Cinéastes du présent

Critique : Don’t Let Me Die

par 

- Le premier long-métrage étrange par Andrei Epure nous demande, avec une certaine insolence, si nous ne sommes pas un peu morts à l'intérieur

Critique : Don’t Let Me Die
Georgi Yordanov, Cosmina Stratan et George Albert Costea dans Don't Let Me Die

Le premier long-métrage du Roumain Andrei Epure, Don’t Let Me Die [+lire aussi :
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, inspiré d’un événement traumatisant survenu pendant l'enfance de la scénariste et productrice du film, Ana Gheorghe, est actuellement en lice dans la section Cinéastes du présent de Locarno. C'est un film plutôt particulier, qui fait effet d’une suite ludique (mais pas forcément dans le sens plaisant du terme) donnée au film fondateur La Mort de Dante Lazarescu [+lire aussi :
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de Cristi Puiu. Dans ce film de 2005, le personnage joué par Ioan Fiscuteanu était de plus en plus poussé vers la mort par le système médical. Dans Don’t Let Me Die, l'héroïne, une jeune femme nommée Maria (Cosmina Stratan, d'Au-delà des collines [+lire aussi :
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interview : Cristian Mungiu
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de Cristian Mungiu) tâche d’accomplir les derniers rituels pour une voisine, Isabela (Elina Löwensohn), qu'elle a retrouvée morte devant sa barre d’immeuble.

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Le point de départ de l’histoire a déjà inspiré un autre film (le court-métrage Intercom 15), mais Epure a eu le sentiment qu’il méritait plus de temps, et c’est bel et bien le cas, car il y a beaucoup de place pour l’absurde dans l'entreprise de Maria, qu'on voit prendre, progressivement, les mesures nécessaires pour l’inhumation de la défunte. La chose va vite devenir à la fois bizarre et fastidieuse, car Maria n’a aucun lien légal avec Isabela et il lui manque même certaines informations vitales pour pouvoir accomplir sa mission sans heurt. Stratan joue son personnage avec un étrange détachement, comme si Maria était, un instant, au bord de la crise de nerf, pour être l'instant d'après engloutie par une sérénité semblable à la mort, avec juste un léger indice de son trouble encore visible dans son regard.

Au-delà de se demander s'il n'y a pas quelque chose d'éteint en nous, Epure semble déterminée à comprendre si nous ne sommes pas tous un peu fous dans nos têtes. Epure est l'auteur de Mammalia [+lire aussi :
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, le premier long-métrage de Sebastian Mihăilescu (qui avait été a été sélectionné pour la première édition du Smart 7 Festivals Network, en 2023), et on retrouve beaucoup de l’absurdité et de l’atmosphère de ce titre dans Don’t Let Me Die. Les conversations qu'on entend sont interrompues en cours de route et ne contiennent pas toutes les informations essentielles, de sorte qu'on ne peut pas complètement les comprendre, ou alors ce sont les personnages qui prononcent soudainement des phrases comme "nous croyons en la continuité et l’empathie" ou encore "je déteste mes doigts". Mais les dialogues ne sont qu'un des outils que le film utilise pour transmettre un sentiment perturbant, car après tout, nous vivons en effet parmi d'autres gens, séparés par quelques dizaines de centimètres de béton seulement, et pourtant sommes si loin les uns des autres, et aussi seuls que si nous vivions sans personne, chacun sur sa planète.

Epure inonde ses intérieurs d'une lumière de lampe au néon agressive (le genre de lumière dans laquelle même sur une peau parfaite, on voit ses petites imperfections), alors que les scènes de nuit en extérieur sont plongées dans une obscurité presque totale qui fait que les personnages ont l'air de simples spectres en chemin vers un endroit gouverné par la nuit éternelle et infinie. Ces scènes sont accompagnées d'un motif musical en trois notes, joué sur un instrument qui pourrait être une flûte de pan, qui renforce le mystère et emprisonne le public dans un lieu très singulier, quelque part entre amusement et terreur.

Le scénario explore l’absurdité inhérente à la mort, cette étape finale et inévitable qui mobilise une pléthore de fonctionnaires las et active une série de rituels qui n'ont aucun sens pour certains, mais sont extrêmement importants pour d’autres.  Don’t Let Me Die a particulièrement frappé l’auteur de ces lignes qui, après avoir perdu son père, il y a plusieurs décennies, a pu constater que quand on ne retrouve pas un certificat de décès, les mairies roumaines ne délivrent pas de duplicata alors que les cimetières refusent de procéder à un enterrement sans ledit certificat – une situation à la Catch 22 qui a mis en branle une quête kafkaïenne. À cet égard,  Don’t Let Me Die ("ne me laisse pas mourir") aurait pu s'intituler Please Let Me Die and Let’s Get It Over With ("s'il te plaît, laisse moi mourir et qu'on en finisse"), car Epure tient surtout à nous montrer ici le tango dérangé, déséquilibré et absurde qui se joue entre une personne qui gère la mort de manière quotidienne et quelqu’un qui ne la croise de près qu'une ou deux fois dans toute sa vie.

Don’t Let Me Die a été produit par Saga Film (Roumanie) en coproduction avec Handplayed (Bulgarie) et les sociétés roumaines  Arrogant Films et Conceptual Lab by Theo Nissim. Les ventes internationales du film sont gérées par Lights On.

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(Traduit de l'anglais)

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