Critique : Sorella di Clausura
- Le personnage central du nouveau film d'Ivana Mladenović est une "ratée" trentenaire qu'on voit jongler tant bien que mal entre la vie, l'amour, l'argent et le sexe

À en croire une anecdote racontée par un personnage louche dans Sorella di Clausura [+lire aussi :
interview : Ivana Mladenović
fiche film], le nouveau film d’Ivana Mladenović, qui vient de faire sa première mondiale en compétition à Locarno, le titre du film est en fait le nom d’une chorale a cappella composée uniquement de bonnes sœurs italiennes. Ce qui est assez particulier, c'est qu'en dehors des représentations, ou plutôt de leur unique représentation annuelle, elles respectent strictement leur vœu de silence. Selon le populaire chanteur de folk serbe Boban (joué par le père de la réalisatrice, Miodrag Mladenović, qu'on avait déjà vu dans le film précédent de sa fille, Ivana the Terrible [+lire aussi :
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fiche film]), le même destin attend notre héroïne, Stela (Katia Pascariu, l'actrice principale de Bad Luck Banging or Loony Porn [+lire aussi :
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fiche film] de Radu Jude), mais elle prétend qu’elle ne sait pas chanter parce qu’elle n'a aucune oreille – autant dire que la métaphore du chanteur lui échappe complètement.
Boban a beau n'être au courant de rien, Stela a tout un passé avec lui. Il était, et reste, le seul dont elle soit jamais tombée amoureuse (célébrités et hommes ordinaires compris). Elle est obsédée par lui depuis ses douze ans, quand elle l’a vu à la télévision pour la première fois. Ce coup de foudre et cette obsession sont probablement les seules choses qui permettent à Stela de garder la tête hors de l'eau dans existence triste et dépressive. À la trentaine, sans emploi, elle vit avec sa famille élargie dans un tout petit appartement. Nous sommes en 2008, et la Roumanie vient d’entrer dans l’UE, juste à temps pour subir tous les maux qui sont venus avec la crise économique mondiale.
Cependant, Stela reste fermement déterminée à se rapprocher de Boban, ou au moins à montrer à sa famille qu’elle pourrait réussir dans la vie, contre toute attente. La route menant à ces deux objectifs passe par une chanteuse de variété, Vera (Cendana Trifan), dont la rumeur dit qu'elle serait la nouvelle petite amie de Boban et qui s’intéresse aux textes de Stela, du moins à ses lettres de fan. Les deux "rivales" deviennent vite amies, et Stela a une chance d’avancer dans la vie. Cependant, des avantages comme un contact avec un éditeur réputé, Felix (Cătălin Dordea), et un ticket d’accès à la haute société ont souvent pour corollaires des conséquences bizarres, comme le fait de se déplacer partout en Roumanie ou de travailler comme testeuse de jouets sexuels.
Des films qu'a faits Mladenović jusqu’ici, nous savons qu’avec elle, il faut s’attendre à l’inattendu, même si ses récits viennent de choses réellement vécues par elle ou ses amis. Ceci pourrait expliquer pourquoi elle ouvre son film sur un avertissement qui déclare que nous aurions "tort", voire que ce serait "possiblement de la paranoïa" de s'attendre à un film basé sur des faits réels, alors que le générique de fin révèle que le film s'inspire des mémoires de Liliana Pelici. Ainsi, tout ce que rencontre Stela sur son chemin titubant n'est peut-être pas tout à fait vrai, mais il y a ici assez de références aux travaux précédents de Mladenović (et à d'autres œuvres) pour que le spectateur continue tout du long de les guetter, sans s'y perdre non plus, car leur quantité ne dépasse pas les bornes. Si le film est dédicacé à son amie et collaboratrice la regrettée Anca Pop, on y sent aussi des échos du cinéma de Radu Jude, non seulement parce que Katia Pascariu joue ici le même genre de personnage que celui qu'elle incarnait dans Bad Luck Banging…, mais aussi du fait du montage de Vanja Kovačević et de la division du film en chapitres qui donnent un ordre à des idées toutes très idiosyncratiques.
Selon Ivana Mladenović, Sorella di Clausura est "une parodie empathique des mélodrames romantiques". C'est vrai, mais le film examine beaucoup d'autres choses encore, de la quête du bonheur à l’impératif d'avoir du succès. Quoiqu'il en soit, Sorella di Clausura est clairement l'œuvre d'une réalisatrice avec une signature personnelle très marquée.
Sorella di Clausura a été produit par microFILM (Roumanie) et Dunav 84 (Serbie) en coproduction avec Nightswim (Italie) et Boogaloo Films (Espagne). Les ventes internationales du film sont assurées par B Rated International.
(Traduit de l'anglais)
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