Critique : Dry Leaf
par Olivia Popp
- Dans le deuxième long-métrage d'Alexandre Koberidze, qui raconte une série de rencontres pendant un agréable périple à travers la campagne géorgienne, les gens et les lieux ne font plus qu'un

Quand on veut, on peut, et quand il y a de la vie quelque part, il y a un terrain de football. Avec son deuxième long-métrage, Dry Leaf [+lire aussi :
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"Y a-t-il un terrain de football par ici ?", demande Irakli (le père du réalisateur, David Koberidze) à chaque fois qu’il arrive dans une nouvelle ville dans son parcours de la Géorgie rurale, en quête de sa fille Lisa, photographe de sport, qui prenait des photos de ces terrains et qui a disparu. Il est accompagné de Levan, son ami invisible, assis à la place du mort, qui intervient gentiment pour le remettre sur son chemin quand Irakli semble trop s’en écarter. La plupart des gens qu’ils rencontrent sont également invisibles, ce qu'on voit bien quand Irakli, plus tard, semble errer complètement seul.
On déboule dans cet univers à travers la merveilleuse musique de Giorgi Koberidze, dominée par les percussions et contrebalancée par un piano dissonant et des synthétiseurs, et le film va évoluer pour devenir une œuvre entièrement mise en musique à travers une série de leitmotivs reconnaissables. Dry Leaf a été tourné (par le réalisateur lui-même) sur un portable Sony Ericsson, un appareil qui a été lancé en 2005. Nous voyons ainsi des paysages et des interactions à travers une perspective visuelle qui représente une mise à distance par rapport à celle qu'on a dans la vie ordinaire, et pourtant, le charme de ces champs pixelisés persiste plus que jamais. La campagne géorgienne, parfois d'un jaune aride, d'autres fois verte et luxuriante, est constellée d'animaux : d’abord des chats, puis des chiens, des vaches, des chevaux et plus encore, ce qui nous ancre tendrement dans un endroit qu'on sent sûr.
La durée du film (trois heures) prend peut-être à rebours le besoin qu'a le spectateur moyen d’une stimulation constante, mais elle l'amène à trouver de la joie dans les plus simples des plaisirs, qui sont souvent les plus sublimes de tous : une brève rencontre entre un enfant et un veau, la scène où Irakli lave soigneusement sa voiture, l’eau qui roule le long de la fenêtre et révèle le paysage qui défile derrière. Plus tard, Koberidze formule un commentaire sur la vitesse à laquelle nous sommes en train de laisser derrière nous ce qui nous est cher en tant qu’humanité (la culture, le sport, la vie), remplacé par la modernisation technologique et l'exploitation des terres pour le profit.
Le plus frappant dans ce film, c'est la série de (soi-disant) contradictions que portent la forme comme le contenu du film : par exemple, ça paraît être un paradoxe fondamental, de projeter un film dont les images ont un tel grain (et sont si "mauvaises", pourrait-on dire) en 2K. Et pourtant, les images du téléphone évoquent rarement un carnet de bord vidéo, au contraire, car les plans de Koberidze sont incroyablement stables et précisément composés. De la même manière, de la quête d'Irakli, qui cherche une personne disparue accompagné d'un ami invisible, se dégage une ironie qu'on écarte ensuite de ses pensées comme étant superficielle. Koberidze court-circuite gentiment notre besoin de nous réconcilier avec la sublime incomplétude du monde : ressentez les choses, ne réfléchissez pas trop.
Dry Leaf est une production entre l’Allemagne et la Géorgie qu'a pilotée New Matter GmbH. Les ventes internationales du film sont assurées par Heretic.
(Traduit de l'anglais)
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