Critique : À pied d’œuvre
par David Katz
- VENISE 2025 : Valérie Donzelli propose une plongée étonnamment profonde dans la vocation de l'écrivain, où Bastien Bouillon livre une interprétation brillante

L'idée classique selon laquelle l'artiste fait "vœu de pauvreté" a droit à une remise au goût du jour pour l'ère de l'économie des petits boulots. À pied d'œuvre [+lire aussi :
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fiche film] de Valérie Donzelli, étude de personnage sobre adaptée du roman de Franck Courtés (paru en 2023) qui finit par s’avérer optimiste, se rattache à un type de récit filmique dont pratiquement tous les pays ont au moins un exemplaire, et dont le héros est un écrivain qui essaie de démanteler son égo alors qu’il en est encore l'esclave. Cependant, le film de Donzelli a la particularité de relier cette dynamique sempiternelle aux vies fragmentées par la technologie et gouvernées par des algorithmes tout-puissants que nous vivons désormais. Le film a fait sa première en compétition à Venise, ce qui marque la première visite de la réalisatrice française césarisée au festival italien.
À pied d’œuvre est un film qui comprend qu'être un artiste ne tient pas uniquement à l'œuvre finale qu'on produit : c'est aussi une posture d’opposition au monde, de réticence à se conformer aux manières typiques de gagner sa vie et de trouver l’épanouissement. Paul Marquet (Bastien Bouillon, décidément excellent dans chaque nouveau rôle auquel il s'attaque) abandonne son emploi confortable de photographe reconnu pour rejoindre l'univers plus hasardeux de ceux qui cherchent la gloire littéraire. Avec, à son actif, trois livres respectés mais qui n'ont pas fait de belles ventes, il doit quitter la maison qu’il partageait avec son ex femme (Donzelli, ici dans un très petit rôle) et assurer sa subsistance d’une manière ou d’une autre. Cependant, notre Don Quichotte ne cherche pas un travail qui corresponde à ses capacités artistiques reconnues, actuelles (l’écriture) ou mises en sommeil (la photographie).
C'est ainsi que l’application (a priori fictionnelle) “Jobbing” se retrouve installée sur son téléphone pour lui permettre de chercher des travaux manuels, ce qui lui laissera, avec un peu de chance, assez de temps libre pour avoir l’opportunité d'écrire. Sauf que sans qu'il l'ait voulu, ceci devient la seule réalité de Paul, et non une concrétisation de son espoir naïf qu'en acceptant une vie modeste dans un studio situé au sous-sol (évoquant une chaufferie) et en travaillant le jour avec ses mains, "sans réfléchir", il aura l'intense agilité mentale requise pour bien écrire le soir. De plus, les horaires sont loin d'être stables quand les notifications push ne viennent jamais, et que les quelques particuliers qui vous embauchent laissent de mauvaises critiques pour des tâches assignées sur l'instant, sans préavis.
Comme des extraits du roman de Courtés sont ici repris en voix off, hélas pour le film, on entrevoit combien cette histoire convenait mieux à la prose qu'au médium visuel. Ces éclairs d'éloquence composés par Courtès font que la vie intérieure de Paul paraît terne et vide en comparaison – ce qui n'est pas très convaincant pour un auteur qui pratique l'autofiction, genre de récit où les moments les plus quotidiens sont généralement chargés d’observations intéressantes. Le père de Paul (André Marcon), qui dit les choses directement et sans mâcher ses mots, l’accuse presque de "rater" sa vie de pauvre compte tenu de son inadaptation au travail manuel et par ailleurs, sa petite aventure en terre d'indigence (accompagnée par des airs extradiégétiques de bon goût joués au piano) peut donner l'impression de prendre à la légère ce type d'emplois, pour ceux qui comptent exclusivement là-dessus.
Mais comme Donzelli l'a prouvé dans son film précédent, L'Amour et les forêts [+lire aussi :
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fiche film], elle excelle quand il s'agit de nous mettre mal à l’aise : ses personnages sont confrontés à leurs limites psychologiques, et leurs barrières émotionnelles sont dégagées sur le côté. C’est dérangeant de voir un Paul dépressif perdre progressivement toute estime de lui-même tandis que la possibilité de canaliser tout cela dans son écriture semble de plus en plus lointaine d'heure en heure. Heureusement, quand Alice (Virginie Ledoyen), sa loyale éditrice chez Gallimard, lit enfin son récit de ces mois éprouvants, on se rappelle soudain combien l'écriture est épanouissante quand elle exprime une vérité émotionnelle authentique, comme dans le cas de Paul. Comme le veut l'adage, ce n'est rien d'écrire : il suffit de s'asseoir à son bureau et saigner.
À pied d'œuvre a été produit par la société française Pitchipoï Productions en coproduction avec France 2 Cinéma. Les ventes internationales du film sont gérées par Kinology.
(Traduit de l'anglais)
Galerie de photo 29/08/2025 : Venice 2025 - At Work
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