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VENISE 2025 Hors-compétition

Critique : Nuestra tierra

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- VENISE 2025 : Lucrecia Martel est de retour avec un documentaire sur le procès qui a suivi le meurtre d'un activiste pour la protection des terres indigènes au nord-ouest de l'Argentine

Critique : Nuestra tierra

Les films de Lucrecia Martel tendent à s’articuler autour d'un enjeu dramatique et existentiel précis : le sentiment de culpabilité d’une bourgeoise d’âge moyen qui a peut-être commis un homicide (La Femme sans tête [+lire aussi :
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), le désir de promotion d'un magistrat du régime colonial au XVIIIe siècle (Zama [+lire aussi :
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)... Dans Nuestra tierra [+lire aussi :
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, le tout premier long-métrage documentaire de l'immense cinéaste argentine, on sent bien qu'elle essaie de canaliser un grand volume de matériels pour trouver un fil rouge cohérent, et si elle n'y est pas parfaitement parvenue, elle livre malgré tout un exposé idoine du traitement que l’Argentine réserve à ses peuples indigènes, doublé d'un bel hommage à la capacité de résistance de ces derniers. Le film a fait sa première hors compétition à Venise.

Martel a commencé de travailler sur ce film avant même de se lancer dans le projet Zama (sorti en 2017). L'élan initial est venu quand elle a découvert les images crues, filmées sur smartphone, du meurtre du leader d'une communauté indigène, Javier Chocobar, en 2009, dans une vallée de la province de Tucumán, au nord-ouest de l'Argentine. Le procès des trois suspects dans cette affaire d'homicide n'ayant commencé qu’en 2018, elle a pu documenter tout le processus, avec le soutien et la participation de la communauté Chuschagasta, à laquelle Chocobar appartenait, et se faire, de fait, le témoin cinématographique du dernier chapitre de leur combat.

L'incident lui-même est envisagé par Martel, et sa coscénariste María Alché, comme un moment symbolique de violence, représentatif du déplacement des Chuschas sur plusieurs générations, mais le procès qui finit par suivre fait l'effet d'une reconnaissance des torts subis par la plus haute autorité judiciaire. Les trois prévenus étaient le propriétaire terrien Dario Luis Amín et deux policiers, Luis Humberto Gómez et Eduardo José Valdivieso, apparemment embauchés pour faire la sécurité. Ils faisaient en réalité un voyage de reconnaissance pour identifier les terrains propices aux activités minières. Quand ils se sont retrouvés face au groupe de Chocobar, la confrontation qui s'est ensuivie a abouti à des échanges de tirs, et le leader activiste est mort, et deux de ses camarades ont été blessés.

Dans la salle du tribunal, étrangement exigue et vieillotte, les prévenus et leurs avocats présentent, sans convaincre, leurs preuves et leurs excuses, tandis que les Chuschas présents à l'audience (dont la veuve de Chocobar, Antonia, et son fils Gabriel) observent tout cela avec solennité. Au bout d'un moment, Martel passe à la conclusion ambiguë du procès, qui ne résout rien, mais elle utilise les preuves fournies dans la déposition comme un nouveau fil narratif permettant d'évoquer cette communauté, et sa vie familiale et laborieuse dans le Tucumán et les zones urbaines situées plus au sud. Une série de photos antérieures s'ajoutent aux vidéos filmées sur portable à la fin des années 2000, après le meurtre, aux reconstitutions des événements sur le théâtre des faits pour le procès, des années après, et aux prises de vues des lieux réalisées plus récemment par Martel au moyen de drones, de sorte qu'on a droit à une véritable tapisserie, toujours changeante, dédiée à la vie d’une communauté autosuffisante dans un système légal et politique qui essaie de l'effacer. Si Martel elle-même est une personne de l’extérieur (issue du milieu des anciens colons européens qui ont toujours dominé le pays), son langage cinématographique multiple, qui rend compte des événements tout en égrenant des pensées introspectives et évocatrices, justifie largement sa position d'alliée de la cause indigène.

Nuestra tierra est une coproduction entre l’Argentine, les États-Unis, le Mexique, la France, le Danemark et les Pays-Bas qui a réuni les efforts de Rei Pictures, Louverture Films, Piano, Pio & Co, Snowglobe et Lemming Film. Les ventes internationales du film ont été confiées à The Match Factory.

(Traduit de l'anglais)

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